BALE / SUISSE
La Fondation Beyeler, près de Bâle, présente simultanément Constantin Brancusi et Richard Serra, et révèle avec brio les liens unissant ces deux monstres de la sculpture.
RIEHEN/BÂLE - C’est sans doute l’affiche la plus prestigieuse de la saison estivale : deux maîtres incontestés de leurs époques respectives, deux approches novatrices de la sculpture ayant bouleversé les canons de leur temps et la réalité perceptive de leur discipline. Constantin Brancusi (1876-1957) et Richard Serra (né en 1939) côte à côte dans les salles de la Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle, voilà qui allèche et intrigue tout à la fois. Organiser une telle exposition tient quelque part de l’exploit. Réunir près de quarante sculptures de Brancusi, parvenir même à reconstituer des ensembles à travers les variations d’un motif, relève de la gageure tant les institutions – souvent prestigieuses – et les collectionneurs qui les possèdent rechignent à s’en séparer. Parallèlement, installer une dizaine de pièces de Serra impose des défis techniques dont ne sont généralement pas coutumières les structures muséales.
Tracé acéré
Si la rencontre intrigue, c’est que, avant d’arpenter les salles, il n’est pas aisé de saisir ce que la fragilité, voire la gracilité du Roumain peut avoir à dire à la puissance et à la massivité de l’Américain. Les terrains de dialogue se révèlent pourtant fertiles, et la conversation, à plus d’un égard captivante, même si les mises en relation apparaissent parfois un peu forcées, comme dans l’une des dernières salles du parcours. La réunion exceptionnelle des deux versions de Mademoiselle Pogany (1919 et 1925) et de deux très phalliques Princesse X (1915), où la recherche de la traduction possible d’un visage en sculpture s’amuse à tirer vers l’abstraction, a peu à voir, là, avec la problématique de stabilité et d’équilibre posée par quatre plaques de plomb se soutenant entre elles pour former un carré (House of Cards, 1969).
Commune est en revanche chez les deux hommes une appétence affirmée pour le caractère affûté de l’objet sculptural. Avouant sa fascination pour la manière dont Brancusi a toujours fait montre d’un tracé précis et acéré, Serra rapporte à l’envi l’influence exercée sur lui par la découverte de l’atelier de son aîné, alors reconstitué au Palais de Tokyo, où il se rendit pour dessiner lors d’un séjour à Paris en 1965. Ce goût pour les lignes sûres, les contours précis et les découpes radicales est ici formidablement évoqué lorsque, à une série de torses particulièrement puristes de Brancusi, fait suite une large plaque d’acier simplement posée sur champ, à 45° d’un angle (Circuit, 1972). Un tracé à l’implacable précision est également perceptible dès le hall de la fondation, avec une énorme masse d’acier horizontale redressée, épaisse de 20 cm (Fernando Pessoa, 2007-2008). Vue de côté, sur la tranche, la parfaite découpe de la pièce gomme soudainement toute horizontalité pour ne plus affirmer qu’une verticalité, tout en légèreté, à l’instar des oiseaux et de la Colonne sans fin regroupés dans une ultime salle très élégante. D’emblée, cette œuvre synthétise à merveille le questionnement gravitationnel de la sculpture, très marqué dans les visages de muses ou d’enfants de Brancusi comme dans les grandes structures pénétrables de Serra, à l’équilibre apparemment précaire (Olson, 1986). La quête perpétuelle d’un rapport de force entre horizontalité et verticalité apparaît presque obsessionnelle chez un Serra, qui avec Delineator (1974-1975) n’hésite pas à faire se juxtaposer deux plaques d’acier aux orientations opposées, l’une posée au sol et l’autre fixée… au plafond ! Une préoccupation que l’on retrouve dans des travaux graphiques à la craie grasse sur papier qui interrogent la masse (Elevational Weights, 2010).
L’exposition dessine encore bien d’autres lignes de correspondance, tel le socle, important au point de devenir parfois une sculpture à part entière chez Brancusi, alors qu’il est abandonné par Serra pour gagner une complète autonomie dans sa monumentalité, dans un accompagnement de l’une des évolutions majeures de la discipline au XXe siècle. Tout en tensions, la conversation libre et ouverte se révèle passionnante, et paraît elle aussi pouvoir être sans fin.
Commissaire : Oliver Wick, Fondation Beyeler
Nombre d’œuvres de Brancusi : environ 40
Nombre d’œuvres de Serra : 22
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Rencontre au sommet
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 août, Fondation Beyeler, Baselstraße 101, Riehen/Bâle, tél. 41 61 645 97 00, www.fondationbeyeler.ch, tlj 10h-18h, mercredi 10h-20h. Catalogue éd. Hatje Cantz, 244 p., 176 ill., 68 CHF (env. 56 €), ISBN 978-3-7757-2821-8.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°350 du 24 juin 2011, avec le titre suivant : Rencontre au sommet