L’Américaine Taryn Simon, occupée à révéler ce que l’époque dissimule à ses contemporains, bénéficie pour la première fois d’une importante exposition monographique en France, à Paris et à Cherbourg.
PARIS - Dès « The Innocents » (2002), son premier corpus consacré à des Américains incarcérés pour des crimes qu’ils n’ont pas commis avant de se voir innocentés par des tests ADN, Taryn Symon a montré sa volonté et sa capacité à exhumer ce qui est caché. Pensée dans ses moindres détails, l’œuvre contestataire de cette Américaine née en 1975 est d’une clarté absolue, efficace dans son impact. On en prend toute la mesure dans la monographie que lui consacre le Jeu de paume en lien avec le centre d’art Le Point du Jour à Cherbourg, où sont présentés huit chapitres de la série emblématique « A Living Man Declared Dead and Other, Chapters I-XVIII » (2009-2012).
À Paris, la Galerie Almine Rech, qui représente l’artiste en France, a déjà présenté ce travail sur les lignées familiales façonnées par les actes de leurs aïeux. Au Jeu de paume, ce que donne à voir la traversée des six séries qu’elle a sélectionnées et ordonnancées avec le concours d’Ami Barak, commissaire de l’exposition, c’est un portrait en creux de son positionnement en tant qu’artiste sur les questions sociales et politiques marquantes de son époque. « [Je me] confronte physiquement et psychologiquement à ce que [mon époque] dissimule, génère en actes et conséquences », précise Taryn Symon quand on l’interroge sur ses années de recherches, de correspondances, de demandes et de voyages.
Travail d’investigation
Né d’une commande passée par le New York Time Magazine, « The Innocents » marque le fondement de cette démarche d’inventaire inhérente à chaque série qui a suivi, à l’instar d’« An American Index Of Hidden and Unfamiliar » (2007), réalisée aux États-Unis. Cette dernière est construite sur ce qui demeure (pour diverses raisons) soustrait au regard, depuis les capsules de déchets nucléaires provenant du complexe de Hanford jusqu’à une nymphoplastie réalisée sur une jeune patiente d’origine palestinienne. Cette propension à donner un ordre au chaos mobilise une équipe, une production importante qu’assure la sœur de l’artiste. Le travail d’investigation du journaliste et du photoreporter sur les désordres humains, l’artiste américaine le « recycle », pour reprendre le terme de Simon Baker, conservateur pour la photographie et l’art international à la Tate Modern (Londres), prêteur des pièces pour Paris et Cherbourg. Elle le conceptualise, l’engage dans un protocole précis, rigoureux, de la prise de vue à la mise en scène résolument percutante, séduisante.
Rigueur
La rigueur et l’absolu contrôle, jusqu’à l’accrochage ou la traduction d’un texte, prévalent dans la démarche de Taryn Simon. Dans la monographie coéditée par la Tate, le Jeu de paume et Le Point du Jour à l’occasion de ses deux expositions en France, son entretien avec le réalisateur Brian De Palma révèle chez les deux créateurs un comportement identique sur le terrain avec leur équipe. « J’évite autant que possible les repas et les conversations. Il n’y a ni le temps, ni la place pour quoi que ce soit d’autre que le travail », dit-elle.
Dans « Contraband » (2010), série sur les objets saisis à l’aéroport John F. Kennedy à New York dans les bagages des voyageurs ou dans les courriers expédiés par avion, l’artiste a travaillé avec ses assistants sur place cinq jours pratiquement sans dormir. « Toute l’histoire de la photographie est liée à l’erreur, à l’accident. Mais je n’ai jamais été prête à me laisser surprendre. Je suis convaincue que ce sont les circonstances invisibles menant jusqu’au moment de la prise de vue qui constitue, de différentes manières, mon médium », précise-t-elle. Dans sa réflexion critique et sa recherche, Taryn Simon ordonne cependant le désordre selon son propre mode émotionnel, une approche que l’écrit, y compris dans sa plus grande précision sur les faits relatés, contient.
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Abonnez-vous dès 1 €Taryn Simon. Vues arrière, nébuleuse stellaire et le Bureau de la Propagande extérieure
Jusqu’au 17 mai, Jeu de paume, 1, place de la Concorde, 75008 Paris
tél. 01 47 03 12 50
www.jeudepaume.org
tlj sauf lundi 11h-19h
jusqu’à 21h le mardi, entrée 10 €. Catalogue, coéd.
Tate/Jeu de paume/Le Point du Jour Éditeur, 396 p., 35 €.
Taryn Simon. A Living Man Declared Dead and Other Chapters I-XVIII
Jusqu’au 31 mai, Le Point du Jour-Centre d’art Éditeur, 197, avenue de Paris, 50100 Cherbourg-Octeville
tél. 02 33 08 58 51
www.lepointdujour.eu
tlj sauf lundi et mardi, 14h-18h, jusqu’à 19h le samedi et dimanche, entrée libre.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°431 du 13 mars 2015, avec le titre suivant : Remise en ordre et en lumière