ARLES
Plus de soixante-dix ans séparent le peintre et graveur belge James Ensor (1860-1949) du cinéaste et écrivain Alexander Kluge, né en Allemagne en 1932.
Julia Marchand, commissaire de l’exposition, propose une confrontation mordante entre ces deux regards ironiquement caustiques. Les trente-sept estampes d’Ensor portent des titres explicites : La Mort poursuivant le troupeau des humains ou Le Triomphe de la Mort (1895), Peste dessous, peste dessus, peste partout (1904), Démons me turlupinant (1895). On découvre aussi un tout sensible Jardin d’amour (1888). En résonances visuelles et sonores aux interrogations inquiètes d’Ensor, des films de Kluge rythment le parcours. Dans la continuité philosophique de l’école de Francfort, à laquelle il fut étroitement associé à la fin des années 1950 en tant que juriste et collaborateur de Theodor W. Adorno, Kluge propose une perception renouvelée de l’histoire humaine d’une lucidité pessimiste, tout en laissant entrevoir de possibles « issues de secours ». « Aujourd’hui, sur notre planète, le poids de l’objectivité, les rapports de violence et l’édifice des contradictions ont pris des proportions démesurées. Nous nous promenons en quelque sorte sur la pointe extrême d’une tour de Babel et sentons que sous nos pieds la tour tremble et menace de s’effondrer. » Ses récits filmiques à la narration fracturée, où s’insèrent des images d’archives, des tableaux ou des extraits d’opéra, nous conduisent progressivement vers un fragile optimisme dont le point d’orgue seraient Mondrian-Machine No1 : Education (2018) et la dernière salle, plus sereine.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°719 du 1 janvier 2019, avec le titre suivant : Regards intranquilles d’Ensor et de Kluge