PARIS
Aboutissement d’un long et ardu travail de recherches, la nouvelle exposition du Quai Branly célèbre la puissance et la majesté de l’art kanak. Didactique, sans oublier d’être poétique, la manifestation doit en partie sa réussite à l’entente parfaite de ses deux commissaires, spécialistes de ces peuples autochtones de la Nouvelle-Calédonie.
PARIS - Il aura fallu attendre vingt-trois ans pour que le public parisien redécouvre la puissance et la majesté de l’art du peuple kanak. Conçue par le grand spécialiste de l’Océanie qu’est Roger Boulay, l’exposition « De jade et de nacre » avait déjà démontré au Musée de la Porte Dorée l’extraordinaire force plastique de ses masques de deuil au nez busqué, la splendeur de ses « haches » d’apparat taillées dans de la néphrite translucide, la symbolique complexe de son architecture.
Déployée sur les 2 000 m2 de sa galerie Jardin, l’exposition du Musée du quai Branly va encore plus loin. Non content de présenter les pièces les plus emblématiques des peuples autochtones de Nouvelle-Calédonie (flèches faîtières couronnant le toit des Grandes cases, monnaies scellant les naissances, les deuils et les mariages, massues et casse-tête, coiffes et coiffures de prestige, bambous gravés de scènes historiées…), le parcours d’une rare fluidité propose une déambulation visuelle et sonore au cœur même de la pensée kanak. La réussite totale de cette exposition – didactique et poétique tout à la fois – s’explique sans aucun doute par la complémentarité et l’entente parfaite de ses deux commissaires : Roger Boulay là encore, qui a dressé depuis trente ans un gigantesque inventaire des objets kanak dans les collections publiques mondiales, et Emmanuel Kasarhérou, l’ancien Directeur culturel de l’agence de Développement de la culture kanak du Centre culturel Tjibaou, dont la double culture – française et kanak – s’avère un atout considérable.
Le visiteur est ainsi accueilli solennellement par une procession d’ancêtres représentés, prunelles closes et corps enveloppé de bandelettes, sur ces appliques des portes des Grandes cases. Peu de peuples ont traduit avec autant de sobriété et de vigueur la présence matérielle et spirituelle des défunts au cœur de la société. On aurait tort, cependant, de juger « macabres » ces majestueux ornements de porte, tout comme les masques de deuil qui clôturent, de façon spectaculaire, l’exposition. Passerelle jetée entre les mondes visible et invisible, l’art kanak est une façon de penser l’univers, de régler de façon harmonieuse les rapports entre les esprits des morts et la société des vivants.
Magnifiquement restaurés – grâce au mécénat de la fondation BNP Paribas – les masques de deuilleurs propres à la région Nord de la Nouvelle-Calédonie mettent ainsi en œuvre des matériaux à forte symbolique dans la culture kanak : cheveux humains prélevés sur les personnes chargées d’accompagner les défunts de haut rang, bois de « houp » dans lequel on sculpte le poteau central de la grande case cérémonielle, plumes de pigeon notou particulièrement vénéré. Regarder comme de simples œuvres d’art ces échafaudages composites et complexes serait donc une totale hérésie. Oscillant entre rire et grimace, ils matérialisent l’esprit du chef défunt revenu se manifester au milieu des siens, le temps éphémère du rituel. Belle leçon de cohabitation pacifique et sereine…
Des clichés coloniaux balayés
Mais s’il est un objet devenu « iconique » au sein de la production kanak, c’est bien la hache ronde, que les missionnaires baptisèrent de façon impropre « hache-ostensoir ». Que n’a-t-on ainsi écrit sur ces magnifiques disques de jade emmanchés sur un bâton de bois recouvert d’étoffe d’écorce battue et maintenu par des poils de roussette (une variété de chauve-souris) teints en rouge ! Arme redoutable destinée à dépecer les cadavres, à sectionner les doigts et les têtes, telles seront les hypothèses les plus communément avancées. Pour les tenants de l’idéologie coloniale la plus virulente, ces « cannibales » ne représentaient-ils pas le degré le plus bas dans l’échelle humaine ? Grand défenseur de la culture et de la cause du peuple kanak, le grand ethnologue Maurice Leenhardt (1879-1954) interprétait, quant à lui, ces « haches » comme des objets de prestige intervenant lors de rituels destinés à favoriser la pluie. Conservées à l’origine dans le « panier » des richesses des grands lignages, ces pièces fabuleuses devaient cependant être – ironie de l’histoire – le présent idéal offert aux membres de l’administration coloniale ! À en juger par les nombreux exemplaires conservés dans nos musées, on ne compta plus dès lors les copies hâtives destinées à satisfaire les exigences de ce marché naissant.
On aurait tort, cependant, de croire la veine artistique kanak tarie, voire éteinte. Il suffit, pour s’en convaincre, d’entendre la voix puissante et inspirée du slameur Paul Wamo tissant un dialogue virtuel avec le grand chef indépendantiste Jean-Marie Tjibaou. Soit une façon plus « contemporaine » d’invoquer le souvenir des défunts…
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Redécouvrir l'identité du peuple kanak
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 26 janvier 2014, musée du quai Branly, Galerie Jardin. www.quaibranly.fr, mardi, mercredi et dimanche de 11h-19h, jeudi, vendredi et samedi 11h-21h, catalogue coéd. Musée du quai Branly/Actes Sud, 344 pages, 250 illustrations, 47 €.
Jusqu’au 26 janvier 2014, le théâtre Claude Lévi-Strauss propose un cycle d’art vivant, avec les dernières créations d’artistes kanak et calédoniens.
Légende Photo :
Affiche de l'exposition Kanak, l'art est une parole au Musée du quai Branly
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Redécouvrir l'identité du peuple kanak