Le Centre Pompidou met Martial Raysse à l’honneur, avec une rétrospective qui dévoile les trente dernières années de sa carrière. Si l’œuvre pop reste puissante et les aventures cinématographiques des années 1970 inattendues, la peinture qui va suivre, dénuée de force critique, ne parvient pas à se démarquer de la tradition qu’elle prétend affronter.
PARIS - Que tous ceux qui accusent le Centre Pompidou d’être le temple de l’art conceptuel d’obédience duchampienne, incompréhensible au grand public, fassent amende honorable. Voilà qu’entouré de son lot de fans (et de collectionneurs) arrive un peintre dont l’œuvre est parfaitement lisible, séduisante même selon certains. Et pour cause, puisque c’est avec le pop art que Martial Raysse a fait ses armes. Plus précisément, avec les Nouveaux Réalistes, ces jeunes créateurs réunis par Pierre Restany en 1960.
Cependant, l’œuvre de Raysse se détache rapidement de l’archivage de fragments choisis pour leur caractère singulier par ses confrères ; avec lui, le présent est montré dans un esprit hédoniste, nourri par la vague consommatrice. Le lieu de prédilection de l’artiste niçois, préfigurant le fameux slogan « Sea, Sex and Sun », est la plage. Pin-up, parasols, serviettes de bain, jouets gonflables…, toute cette panoplie d’objets-gadgets est regroupée dans la spectaculaire installation phare de 1962 Raysse Beach, reconstituée pour l’exposition. Dans ce « nouveau monde » d’uniformité et d’abondance, la vraie caverne d’Ali Baba est le supermarché où, comme le dira Raysse, « les Prisunic sont les musées de l’art moderne ».
La production plastique des années 1960 de l’artiste français – celle que l’on trouve reproduite dans tous les livres d’histoire de l’art – est magistralement exposée en début de parcours. L’œuvre y présente une qualité non moindre que les travaux d’un Tom Wesselmann ou d’un Wayne Thiebaud. Ce n’est pas simple coïncidence si Raysse s’installe en partie à Los Angeles car ses tableaux, collages et assemblages sont peints à l’aide de couleurs sirupeuses et brillantes, comme en Technicolor. Avec ce kitsch, Hollywood, ironie en moins, n’est jamais loin.
Raysse s’intéresse également à la technologie et aux nouveaux médias, utilise le Plexiglas et les tubes de néon, devenus sa marque personnelle. Quelques années plus tard, il réalise un long-métrage, Le Grand Départ (1972), soit l’histoire farfelue d’un gourou qui règne sur une communauté hippie et décide d’un départ vers d’autres cieux. Curieusement, c’est dans le cinéma que la dérision fonctionne le mieux, comme s’il fallait que le peintre s’éloigne de sa discipline d’origine pour prendre tous les risques. Ou bien faut-il voir la source de cette liberté dans ces « années chamaniques », quand Raysse se met en marge de la société ? D’assemblages de menus objets il tire alors la série des « Coco Mato », dont l’intitulé évoque un champignon hallucinogène.
Répétition lassante
Quand l’artiste revient à la peinture dans les années 1980, on se trouve dans un autre registre. Ce sont d’ailleurs ces trente dernières années que la manifestation met en valeur, car « il atteint rapidement l’assurance d’un style qui n’est pas néoclassique mais une synthèse rayssienne conjuguant classicisme, naturalisme et un zeste d’archaïsme, voire de naïveté assumée », écrit la commissaire de l’exposition, Catherine Grenier, dans le texte au titre significatif, « Martial Raysse : Dernier peintre », publié dans le catalogue ». Et encore, « c’est souvent la combinaison de ces styles différents qui donne aux compositions une qualité particulière, et en trahit la contemporanéité ». Autrement dit, l’œuvre témoigne d’une forme d’éclectisme, que chérit le postmodernisme. Faut-il croire que la « redécouverte » de Raysse s’explique par une pratique qui s’accorde parfaitement avec cette forme d’un retour à l’ordre déguisé ? De fait, on trouve chez lui la fascination pour la mythologie, les maîtres anciens, les grandes fresques aux foules frontales.
Soyons justes, les sujets évoquent souvent des scènes de carnaval, les personnages prennent des attitudes grotesques. La parodie n’est pas absente de ces toiles. Cependant, la répétition, lassante, ou le kitsch hérité de la période pop font naître le soupçon que l’œuvre de Raysse a le cul entre deux chaises : elle veut affronter la tradition sans parvenir à s’en démarquer. En d’autres termes, cette peinture qui manque de puissance critique rend parfois difficile la distinction entre premier et second degrés. Un des créateurs reconnus par Raysse est Chirico, celui qui décline ad nauseam des pastiches de la Renaissance. Il devrait plutôt s’inspirer de Picabia, chez qui l’esprit Dada reste toujours alerte. Faute de garde-fou, la complicité entre l’avant-garde et le mauvais goût promu en genre n’est pas sans danger : la critique s’approche de la flatterie, la mise à distance frôle la connivence. Dernier peintre, donc ? On ne savait pas Monory, Erró ou Garouste disparus.
Commissaire de l’exposition : Catherine Grenier
Nombre d’œuvres : 200
Lire la notice d'ALLOEXPO sur la rétrospective « MARTIAL RAYSSE »
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Raysse : du pop au flop
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 septembre, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h
Légende photo
Martial Raysse, Raysse Beach, 1962-2007, installation, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Photo : Philippe Migeat/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Raysse : du pop au flop