Certains événements artistiques subissent la tonalité générale qui est celle de l’époque avec ses crises, ses conflits, ses anxiétés.
Celui du Palais des beaux-arts de Lille prend à contre-pied les tendances, et joue la psychologie positive avec la notion de « Joie de vivre », un thème qui n’avait pas été traité depuis vingt-cinq ans. Pourtant, l’art s’est toujours nourri de ce qui inspire la joie de vivre. En proposant de rapprocher une centaine d’œuvres sur ce thème à travers un parcours transversal, son directeur Bruno Girveau se risquait, sous l’apparente facilité, à plusieurs écueils : celui de l’éclectisme fourre-tout qui introduit des œuvres de qualité moyenne et la tentation de tirer le leitmotiv par les cheveux. Ces difficultés, l’exposition les surmonte essentiellement par une sélection rigoureuse qui propose pour chaque item et chaque période au moins une œuvre pivot. Un léger bémol toutefois pour la scénographie de Constance Guisset, joviale et réussie dans ses codes couleurs, mais parfois trop linéaire dans l’accrochage.
Dans le hall, le visiteur est accueilli par un écran géant qui déroule les moments les plus jubilatoires du cinéma, puis, après avoir été soumis à l’irradiation d’un soleil monumental de Handforth, le parcours peut commencer. Ici la cohérence n’est jamais littérale, il n’y a souvent aucune ressemblance formelle entre les œuvres des protagonistes, encore moins d’une influence dans un sens ou dans l’autre, rien qu’une expérience partagée, celle de la joie de vivre. C’est ainsi que La Danse de noce de Brueghel l’Ancien (1600) trouve un écho inattendu dans le photomontage de 1973 de Guy Peellaert, Strawberry Fields, dans lequel les Beatles, comme leurs ancêtres, sont mus par le même élan dynamique. Deux aspects a priori antinomiques de la peinture flamande qui fonctionnent bien dans cette salle. C’est le cas également des œuvres éponymes dont les plus emblématiques manquent à l’appel : le Matisse retenu dans les Collections Barnes, le panneau de Picasso trop fragile pour voyager, mais les trois « joies de vivre » proposées donnent le change. Notamment celle de Dubuffet « avec son petit sauteur au milieu » qui rappelle les dessins d’enfants et joue le gribouillage, celle de Delaunay et sa puissante dynamique giratoire et l’évidente présence de Victor Prouvé dont la thématique est la marque de fabrique.
Parmi les sept thèmes qui scandent le parcours, Soleil exhibe des hommes se baignant faisant l’éloge de la force virile, et une baigneuse de Kupka se fond dans L’Eau jusqu’à s’y dissoudre. Parmi les œuvres dévolues aux jeux, le délicieux tableau Petite Fille jouant au volant de Chardin qui inspira ces deux vers « Sans souci, sans chagrin, tranquille en mes désirs/Une raquette et un volant forment tous mes plaisirs », et celui de l’enfant courant après son ballon dans la fameuse toile de Vallotton. Après la légèreté des fêtes galantes de Watteau, les pastorales lyriques de Boucher et autres délassements champêtres de Pater, le peintre russe Kouznetzov nous offre avec Jour de fête l’expression la plus simple et la plus forte de la joie de vivre. Dans un tout autre registre, le regard malicieux de Martin Parr pointe son ironie mordante avec le burlesque Family Picnic. Le niveau se maintient avec « corps joyeux » et l’une des multiples versions de baigneuses peintes par Picasso, deux femmes courant sur la plage dans un même élan vital et sensuel ainsi qu’une minuscule terre cuite de Pistillus (IIIe s.) Couple dans un lit, d’une intimité à couper le souffle. Enfin le charmant portrait d’enfant riant de Hals, plus naïf que l’hilare Mr Cloud de Murakami, illustre le dernier thème et cette phrase de Spinoza : « Le rire est pure joie. »
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Qu’est-ce qu’on attend pour être joyeux ?
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Vue de la scénographie de Constance Guisset pour l’exposition du Palais des beaux-arts, Lille. © Photo : Palais des beaux-arts de Lille / Jean-Marie Dautel
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : Qu’est-ce qu’on attend pour être joyeux ?