Que reste-t-il après la performance ?

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 26 février 2008 - 887 mots

Depuis les dadaïstes jusqu’aux années 1970, la performance a interrogé l’essence même du musée : comment conserver et présenter un art du fugitif ? Question que les « performers » actuels intègrent davantage dans leur démarche, pour en garder la trace.

Les expositions dédiées à la performance sont rares et plutôt typées. Depuis « Hors limites, l’art et la vie », organisée par Jean de Loisy au centre Pompidou en 1994 (lire portrait p. 26), qui écrivait une histoire panoramique de ce médium de la résistance corporelle et du seuil de tolérance, la performance ne fait que passer. Pour mémoire, on peut se souvenir de la récente exposition dédiée à Los Angeles, où le très provocateur Chris Burden, artiste qui s’était fait tirer dans le bras à la carabine (Shoot, 1973), se retrouvait quasi sanctifié par la présentation ampoulée des reliques de ses performances des années 1970.

La photo ou la vidéo pour seules reliques d’une action passée
Qu’expose-t-on en effet de la performance ? Il s’agit le plus souvent de documents photographiques ou vidéographiques, des enregistrements en noir et blanc, des témoignages qui attestent de la réalité de ces situations parfois extrêmes.
Certains artistes ont produit des œuvres au cours de ces actions, comme Yves Klein avec ses anthropométries ou Saburo Murakami, du groupe japonais Gutaï, qui traversa en 1955 des écrans de papier aujourd’hui conservés au Musée national d’art moderne. Mais, parfois, le sentiment d’arriver « après la bataille » envahit le spectateur de l’art contemporain. Cette frustration devient vraiment contre-productive à la vision des « restes » de performances, traces d’un vernissage parfois festif réservé à un groupe restreint de spectateurs.
Dans les années 1990, cette frustration fut souvent à son comble avec certains acteurs de l’esthétique relationnelle définie par Nicolas Bourriaud, à l’exemple de Rirkrit Tiravanija. Cet artiste d’origine thaïlandaise se plaisait à créer des situations de convivialité autour d’un repas offert pendant un temps défini. Les traces de cette activité étaient laissées à l’encan, objets transitionnels de ce moment de partage soulignant cruellement son absence et l’exclusion du visiteur.
Plus près de nous, certains comptes rendus ont relaté cet été la performance de Cyprien Gaillard que constituait le feu d’artifice tiré dans le phare du centre d’art de Vassivière. Mais quid du visiteur qui se sera rendu sur cette île du Limousin après l’événement ? Il lui restait l’exposition, fort heureusement. Mais pour la performance, là encore, l’exercice se faisait par contumace.

De plus en plus, la performance sert à produire une œuvre
Le duo de commissaires constitué d’Éric Mangion, directeur de la villa Arson, et de la spécialiste
Marie de Brugerolle (déjà partenaire de Jean de Loisy sur « Hors limites ») a conçu l’exposition « Ne pas jouer avec des choses mortes » en cherchant à dresser l’histoire d’une autre performance.
En effet, une autre génération d’artistes a consciemment aménagé la mise en exposition de la performance. La villa Arson ne prétend pas écrire une histoire exhaustive de la performance, mais en privilégie une branche particulière, très sculpturale, en s’appuyant sur les œuvres d’artistes comme Philippe Ramette ou Erwin Wurm, avec un socle « d’historiques », de Paul McCarthy à Guy de Cointet en passant par Roman Signer. Pour donner une autre idée de ce qui reste après la performance.

Guy de Cointet de nouveau sur le devant de la scène

On connaît peu Guy de Cointet. Pourtant, cet artiste, né en 1934 en France et qui émigra aux États-Unis en 1965, eut une influence majeure sur la scène performative californienne. Enseignant dans un prestigieux institut d’art de Los Angeles, il est devenu une référence pour Paul McCarthy et Mike Kelley. Marie de Brugerolle, commissaire de l’exposition à la villa Arson, a milité pour sa redécouverte et sa réhabilitation en Europe.

Du « théâtre de la performance »
Guy de Cointet, aujourd’hui reconnu pour ses pièces-performances, a commencé sa carrière avec des objets graphiques, des éditions où il mélangeait les langages. Ainsi, il n’hésitait pas à piocher des phrases dans des publicités, des feuilletons, des communiqués techniques, des revues spécialisées, pour déconstruire le langage et lui offrir une autre image grâce à des effets typographiques. « Guy de Cointet a cherché des alternatives au traditionnel rapport de la forme et du sens dans les arts, créant les bases de nouvelles pratiques dans lesquelles l’objet et les mots ne prennent sens que dans les actions et l’espace scénique », écrit Marie de Brugerolle.
Cette traduction visuelle et performative débute en 1973 et s’achève à la mort de Guy de Cointet en 1983. Dix années et une dizaine de pièces de « théâtre de la performance » toujours jouées dans des lieux d’art ou des théâtres devant une audience préparée à des histoires ouvertes, étranges et absurdes. On y découvre des interprètes poseurs et des sculptures abstraites. « Les éléments visuels fonctionnent comme des énigmes à résoudre. À mesure que la pièce se déroule, ces éléments généralement abstraits (...) trouvent une identité et prennent leur place dans le dialogue et les activités des acteurs », expliquait Guy de Cointet.
Les sculptures s’encodent et se décodent par l’action, il faut en accepter l’expérience inhabituelle qui emprunte ses attitudes aux séries télévisées, aux stéréotypes, à l’exagération. La performance de Guy de Cointet ne comprend ni la facilité, ni le classicisme, mais ses représentations sont devenues des musts.

Repères

1916
Au cabaret Voltaire, à Zurich, les membres de Dada organisent des représentations musicales et des déclamations de poèmes sonores, événements précurseurs de la performance.

1955
Premières performances du groupe GutaÁ?, à Tokyo.

1958
Première anthropométrie d’Yves Klein.
1959
Allan Kaprow invente le terme d’« Happening ».

1977
« Le baiser de l’artiste » d’Orlan à la Fiac.

1997
Marina Abramovic obtient le Grand Prix international de la Biennale de Venise pour sa performance-vidéo « balkan baroque ».

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Que reste-t-il après la performance ?

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