À l’Arsenal de Soissons, un collectif allie travail du verre et mapping vidéo pour évoquer le virtuel dans toutes ses dimensions. Et souligne la possibilité ouverte d’un autre rapport au corps.
Kim KototamaLune (née en 1976) travaille le verre depuis plus de 20 ans. Elle le file, elle le souffle, elle le forme. C’est un art exigeant et d’une grande précision : le verre est un matériau fragile que la moindre erreur, le moindre choc thermique trop brusque peuvent briser. C’est aussi une activité qui engage le corps. A fortiori quand on décide, comme le fait l’artiste à l’Arsenal de Soissons, de le déployer à grande échelle, avec des pièces pouvant atteindre deux mètres. L’exposition, sa première monographie dans un musée, s’intitule « 3.5 ». Sa thématique : le virtuel. D’ailleurs, Kim KototamaLune s’est associée pour l’occasion à deux concepteurs d’images, le plasticien Jean-Benoist Sallé et le vidéaste Stéphane Baz, avec lesquels elle forme depuis 2021 le collectif Bones and Clouds. Sous le double commissariat de Clément Thibault, directeur artistique du Cube, et de Christophe Brouard, directeur des musées de Soissons, les trois comparses immergent les visiteurs dans une atmosphère ambivalente, où des pièces en verre, parfois géométriques, plus souvent organiques, viennent chatoyer sous l’effet de projections vidéo. À de rares exceptions près, l’ensemble est le fruit d’une résidence au MusVerre (Sars-Poteries) entre octobre 2022 et janvier 2023. Sur le plan technique, c’est une prouesse, tant par le format des pièces présentées que par la finesse des réseaux qu’elles dessinent. Sur le plan intellectuel aussi : recourir à une technique ancestrale pour parler de notre relation sensible aux nouvelles technologies, il fallait oser. Pourtant, les propriétés du verre sont de nature à soutenir cette entreprise : « C’est la plus immatérielle des matières », assure Kim KototamaLune, qui pointe aussi sa transparence. A contrario, le recours au mapping rappelle ce qu’il y a de forcément matériel dans le virtuel. Projetées sur le verre qui les reflète alentour et sur une série d’écrans (dont un en crépine de porc !), les vidéos conçues en prise de vue réelle et par modélisation montrent tour à tour le feu des fours et le fracas des bris de glace. Elles exhibent aussi organes, viscères ou fascias, de sorte que « 3.5 » oscille sans cesse entre matière et immatériel. « Comment aller vers le corps et l’intime dans un monde qui tend à se désincarner ? », se demandent les artistes du collectif, et cette question dicte tout l’accrochage. En guise de réponse, l’exposition ramène d’abord le visiteur à la fragilité du verre et à la précarité de la vie, pour mieux lui rappeler l’échec des prétentions contemporaines à nier le corps. La question de l’incarnation à l’ère du numérique ouvre aussi vers des rituels et des mythes. « Le virtuel nous ramène à la question de l’invisible », note Kim KototamaLune. Assumant un côté psychédélique, voire cyberchamanique, « 3.5 » entend ainsi nous amener vers la méditation, voire vers des états modifiés de conscience. Histoire de rappeler la définition du mot « virtuel », une puissance potentielle.
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Quand le virtuel donne corps au réel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°766 du 1 juillet 2023, avec le titre suivant : Quand le virtuel donne corps au réel