Sous le double commissariat de la directrice de La Criée et de l’artiste Ariane Michel, « L’épais réel », à Rennes, expérimente la fragilité de l’artiste dans son rapport aux éléments naturels.
RENNES - Il fend les flots Thomas Salvador. Tel un surhomme, il nage à très vive allure sur un écran vidéo, son énergie comme dopée par l’environnement difficile de la pleine mer (La Nage, 2015). Du cycle « Fendre les flots », proposé cette année à Rennes par le centre d’art La Criée, Salvador semble en tout cas être devenu un emblème. Si des contingences environnementales partout y affleurent, le propos de cette exposition subtile ne verse nullement dans des considérations écologiques, mais s’intéresse plutôt à l’éternelle puissance de la nature envisagée comme matière première, de l’œuvre d’art y compris.
Troisième opus d’un programme organisé à cheval sur 2015 et 2016, « L’épais réel » a été conçu par Sophie Kaplan, directrice de l’institution, et l’artiste Ariane Michel. Celle-ci a été conviée à élaborer en duo cette thématique très maritime, ancrage régional oblige, qui permet toutefois d’étendre la réflexion vers un horizon plus large.
Des artistes « in situ »
Depuis qu’elle a pris les rênes de La Criée en 2013, Sophie Kaplan invite chaque année un artiste en lui proposant une exposition personnelle, mais aussi de l’associer au commissariat d’une exposition collective – « une manière d’accompagner un artiste pendant un an et de nourrir une réflexion commune ». Avant une exposition personnelle d’Ariane Michel prévue au mois de mars, une première collaboration avait été menée l’été dernier en milieu naturel, sous le titre « La rhétorique des marées ». Vingt artistes avaient été invités à créer des œuvres le long d’un rivage d’une vingtaine de kilomètres et dans les champs environnants, dans l’idée d’observer le comportement et le geste artistique en milieu naturel.
Cernée cette fois par des murs, « L’épais réel » en constitue presque une suite logique, dans la mesure où est explorée là la participation physique de l’artiste au réel naturel qui lui sert de cadre, de motif d’inspiration, mais aussi et surtout de matériau. Il en est ainsi pour Jessica Warboys, dont la grande toile, avant d’être accrochée au mur, a été enduite de pigments puis immergée, laissant à la mer, au mouvement et au hasard le soin d’en déterminer l’aspect final (Sea Painting, 2012). Tandis qu’Helen Mirra enregistre sur la toile le souvenir de ses déplacements à travers des traces de frottements de pierre ou de bois (Hourly directional field recordings, 2011).
Plus allusive encore, Ellie Ga s’est embarquée pour trois mois dans une nuit polaire cernée par les glaces, à bord d’un bateau d’exploration scientifique. De cette expérience intense elle a tiré des clichés qui ne le sont pas moins, sortes de sténopés où le réel qui l’environne, parfois une simple porte, n’est plus figuré que par une empreinte de lumière. L’effet produit déréalise l’aridité de son aventure et son aspect physique, dans des photographies qui réussissent ce tour de force d’en rendre compte à la fois de manière objective et abstraite (série « Pinholes », 2007-2012).
Mais dans l’attention permanente portée aux éléments qui entourent l’artiste, est également réinterrogée une forme d’existentialisme perceptible dans les postures ambivalentes, qui permettent d’en révéler tant les ardeurs que les faiblesses. Thomas Salvador donc, seul en mer mais dont la performance est aidée par un dispositif invisible, ou encore Bas Jan Ader, dont le sort ne tient qu’à un fil, celui d’une branche à laquelle il s’accroche au-dessus d’un cours d’eau et qui finit par rompre, entraînant dans sa chute la disparition de la figure de l’artiste (Broken Fall (Organic), 1971). À l’inverse, Nicolas Floc’h apparaît lui émergeant des fonds marins, masse noire immobile qui se découvre à mesure que se retire la marée (21 août 1994 (La Turballe), 1994).
Ce tiraillement entre des forces contradictoires inscrites dans le réel, c’est Katinka Bock qui semble le synthétiser au mieux, lorsque dans Couler un tas de pierres (2007) elle filme une barque chargée de lourds cailloux dont le déplacement se fait hésitant, presque résistant, avant que l’embaracation ne sombre…, imposante masse devenue à son tour fragile.
Nombre d’artistes : 14
Nombre d’œuvres : une vingtaine
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Quand la mer prend l’artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 février, La Criée, place Honoré-Commeurec, 35000 Rennes, tél. 02 23 62 25 10, www.criee.org, tlj sauf lundi 12h-19h, samedi-dimanche 14h-19h, entrée libre.
Légende photo
Vue de l’exposition « L’Épais Réel », La Criée centre d’art contemporain, Rennes, avec : Jessica Warboys, Sea Painting, Dunwich September_1, 2012, pigment sur toile, 306 x 570 cm, courtesy de l’artiste et de la galerie Gaudel de Stampa, Paris ; Thomas Salvador, Nage, 2015, film HD, 2 min 33 sec, courtesy de l’artiste et de Christmas in July production. © Photo : Benoît Mauras.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Quand la mer prend l’artiste