Elle aimait se faire appeler « Madame », comme Gabrielle Chanel « Mademoiselle ».
Plus d’un demi-siècle après sa mort, des objets qu’elle a collectionnés et qui avaient été dispersés ont été réunis par le Musée du quai Branly. Ensemble, ils parlent d’elle, Helena Rubinstein, née dans une famille modeste de Cracovie, qui fit fortune en Australie en y commercialisant des crèmes de beauté. La success story de cette « self made woman » aurait pu s’arrêter là. Mais vers 1908-1909, Helena Rubinstein croise à Londres le chemin de Jacob Epstein. La fièvre de ce dernier la gagne et elle se prend de passion pour les arts « primitifs ». Grâce à son premier mari, Edward William Titus, féru d’art et de littérature, elle fréquentera artistes, marchands, collectionneurs. Au fil des ans, sa collection d’arts extra-occidentaux devient mythique. Helena Rubinstein parle peu : les objets qu’elle aime et rassemble, parfois par séries, comme les poulies de métiers à tisser, parfois par coups de cœur, parce qu’elle s’éprend de leur étrangeté – par exemple, un petit masque de protection énigmatique de la région de Danané, en Côte d’Ivoire, qui se distingue du modèle du masque Dan anthropomorphe –, ou parce qu’elle s’émeut de voir les marques du temps sur eux, révèlent sa part la plus secrète, la plus spirituelle. Avec pudeur et sensibilité, dialoguant avec des photographies par lesquelles Dora Maar ou Man Ray capturèrent son visage ou les lieux où elle vécut, ces œuvres lèvent aujourd’hui le voile sur cette collectionneuse de légende paradoxalement demeurée, jusqu’à présent, méconnue du public.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Pudique Helena Rubinstein