Moins connue que Florence, la capitale de la dynastie des Médicis, Prato, fut un brillant foyer artistique de la Renaissance. Lippi père et fils y ont laissé une trace durable.
Avec une soixantaine de tableaux et sculptures, dont certaines n’avaient encore jamais quitté l’Italie, l’exposition du musée du Luxembourg, centrée sur les productions des Lippi, père et fils, est avant tout destinée à présenter le bouillonnement d’un foyer de la Renaissance toscane jusque-là peu connu : celui de Prato. Petite ville située à quelques encablures au nord de la capitale médicéenne, Prato, devenue la capitale du textile italien, a en effet accueilli de nombreux artistes au cours du Quattrocento. Venus dans l’orbite des Médicis, sculpteurs, peintres et orfèvres se sont notamment affairés autour du chantier de la cathédrale, le Duomo. Notamment Paolo Uccello (1397-1475) et Donatello (vers 1386-1466), pour les plus célèbres, laissant un ensemble de fresques dans une chapelle contiguë au chœur de la cathédrale pour le premier, une superbe chaire sculptée en encorbellement sur la façade de la cathédrale, la Cantoria (1438) – dont l’original se trouve aujourd’hui au musée de l’Œuvre – pour le second. L’influence du sculpteur sur les artistes locaux sera longtemps perceptible dans les nombreuses commandes d’autels privés inspirés par les formules de Donatello (voir p. 53).
À Prato, Lippi assure la transition entre gothique et Renaissance
Ville prospère, comme en témoignent encore les nombreuses demeures patriciennes de son centre historique, Prato était aussi une ville hébergeant de très nombreuses communautés religieuses. Autant de commanditaires fortunés pour les artistes florentins. En attestent aussi les nombreuses œuvres dont l’iconographie est liée à un culte incontournable dans la ville : celui de la relique de la sainte ceinture de la Vierge, comme l’illustre le reliquaire d’orfèvrerie dû à Maso di Bartolomeo, orné de reliefs proches de l’art de Donatello. L’essentiel des œuvres de l’exposition provient du Musée municipal de Prato, logé dans le palais Pretorio. Fermé depuis plusieurs années pour travaux, ses fonds ont été irrigués par des collections locales et quelques saisies des communautés religieuses.
Le parcours illustre ainsi cette brillante période de transition entre le Quattrocento et le Cinquecento, dont les deux Lippi ont été les meilleurs représentants à Prato. Le coup d’envoi est donné par des œuvres dont l’empreinte gothique est indéniable. Ainsi des panneaux de prédelle dus à Andrea di Giusto ou Domenico di Michelino, dont les personnages sont encore rigides malgré la tentative de construction d’une perspective.
C’est dans ce contexte que Filippo Lippi va imposer une manière nouvelle, même si certaines de ses œuvres appartiennent encore à une veine gothique tel L’Homme de douleurs entre saint Jérôme et saint Albert de Vercelli (vers 1437, musée diocésain de Saint-Stefano a Ponte), dont l’arrière-plan est entièrement traité à la feuille d’or.
L’exposition met toutefois en exergue une carrière inégale
Formé au contact des œuvres de Masaccio, Lippi arrive déjà âgé à Prato, et armé d’un langage nouveau. Si le peintre n’a jamais dissimulé son admiration pour Fra Angelico, ses figures sont marquées par une monumentalité nouvelle alors que ses compositions, plus complexes, s’inscrivent dans une perspective mieux maîtrisée ou dans un cadre décoratif moderne (niche à coquilles, arcades…). L’évolution est perceptible entre la peinture précoce qu’est la Vierge à l’Enfant d’Empoli (vers 1430), encore influencée dans sa construction par les grands retables de Fra Angelico et qui fut longtemps attribuée à Masaccio, et la Nativité avec saint Georges et saint Vincent Ferrer (1456, Prato, Museo civico. Voir p. 48), largement ouverte sur le paysage.
Les quelques panneaux réunis dans cette exposition, dont certains n’étaient jamais sortis d’Italie, témoignent toutefois du caractère inégal de sa peinture et de l’intervention fréquente de ses assistants, Fra Diamante et Domenico del Zanobi. C’est le cas notamment – cette fois -ci par la force des choses – de la Vierge de la ceinture, commande pour le couvent de Sainte-Marguerite et œuvre qui fut à l’origine de la rencontre de Lippi et de Lucrezia. Laissé inachevé du fait de la fuite des deux amants, le tableau sera terminé par Fra Diamante. Lourdement restauré en 1995, il témoigne toutefois de la grande qualité de portraitiste de Lippi, qui confère à la Vierge les traits de sa maîtresse, Lucrezia, rappelant la célèbre Vierge à l’Enfant aux deux anges du musée des Offices de Florence. Les chefs-d’œuvre conservés à Florence ou au Louvre, finalement hors sujet dans cette exposition consacrée à Prato, n’ont pas fait le déplacement jusqu’au musée du Luxembourg, pourtant à quelques centaines de mètres. Ils manquent toutefois pour apprécier le véritable talent ce ce peintre capable de se renouveler constamment. L’exposition s’achève toutefois sur une note brillante avec le Retable de l’Audience, provenant du palais communal de la ville et peint par son fils, Filippino, à son retour de Rome (1502-1503, Prato, museo Civico). Indéniablement, les temps ont changé à la vue de cette œuvre aux tonalités froides et au classicisme exacerbé, même si les traits de la Vierge semblent encore perpétuer, avec plus de sobriété, les traits de sa mère, la belle Lucrezia…
C’est déjà célèbre que Fra Filippo Lippi arrive à Prato, en 1452. Sa liaison avec la nonne Lucrezia y fera beaucoup de bruit, mais ne l’empêchera pas d’obtenir d’importantes commandes, dont celle pour le décor du chœur de la cathédrale (1452-1463). Fra Angelico avait décliné l’offre, Lippi l’accepte pour la somme, colossale à l’époque, de 1 800 florins. À côté d’une chapelle peinte par Paolo Uccello vers 1430, Lippi livre un cycle monumental de fresques dédiées à saint Stéphane et à saint Jean-Baptiste. L’ensemble a été peint grâce à l’aide des collaborateurs, notamment de Fra Diamante, puis de son fils Filippino. La narration des fresques, très riche, fourmille de détails sur l’histoire des deux martyrs. Les portraits y sont nombreux, dont celui du peintre lui-même ou du pape Pie II – qui l’a gracié –, et la beauté des figures féminines, notamment de Salomé, rappelle celle de ses Madonnes. Une restauration récente a par ailleurs permis de comprendre que Lippi y avait expérimenté une technique nouvelle, mêlant fresque et peinture à sec. D’où la disparition de certaines figures – peintes à sec – qui confère parfois un certain mystère à des scènes. L’ensemble demeure néanmoins très homogène, jusque dans le vitrail central du chœur, créé également d’après des cartons de Lippi.
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Prato, l’autre centre artistique
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Filippo et Filippino Lippi, La Renaissance à Prato » jusqu’au 2 août 2009. Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris. Lundi, vendredi, samedi de 10 h 30 à 22 h ; mardi, mercredi, jeudi de 10 h 30 à 19 h ; dimanche de 9 h 30 à 19 h. 11 et 9 euros. www.museeduluxembourg.fr
Florence aux Beaux-Arts de Paris. L’École des beaux-arts propose jusqu’à la fin du mois d’avril une exposition intimiste sur « Le dessin à Florence au temps de Michel-Ange », regroupant dans le Cabinet de dessins Jean Bonna vingt-neuf feuilles de grande qualité. Réalisés par Andréa del Sarto, Baccio Bandinelli, Jacopo Pontormo, Giorgio Vasari, ces dessins témoignent de la période d’expérimentation qui s’ouvre à Florence au XVIe siècle entre la fin du style classique et la naissance du maniérisme. L’exposition voyagera en Corse en 2010 (www.ensba.fr).
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°612 du 1 avril 2009, avec le titre suivant : Prato, l’autre centre artistique