Prague la lascive

Dijon célèbre le siècle de l’empereur Rodolphe 11

Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2002 - 533 mots

Dans le cadre de la Saison tchèque, le Musée Magnin de Dijon a choisi d’évoquer les fastueuses collections de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg. À Prague, qu’il avait choisie comme capitale, se développe sous son règne l’un des foyers artistiques les plus féconds de la fin du XVIe siècle.

DIJON - C’est un document exceptionnel, ou plutôt deux ; deux études de la tête de Rodolphe II dessinées par Giuseppe Arcimboldo, à quelques semaines de distance en 1575. Sur l’une, le souverain porte la couronne de roi des Tchèques, sur l’autre, celle du Saint Empire romain germanique. Détail piquant, cette dernière s’ajuste mal au crâne de Rodolphe ; “elle dépassait de deux doigts de chaque côté”, note le peintre sur la feuille. Ses dessins saisis sur le vif nous introduisent dans l’intimité de l’empereur, qui s’était entouré de nombreux artistes qu’il appelle à son service. Habsbourg de naissance, il hérite d’un goût atavique de la collection, auquel le développement des Kunstkammern, cabinets de curiosités, donne une nouvelle dimension. C’est une vision du monde, une véritable cosmologie, qui s’exprime dans ces ensembles fabuleux rassemblant les merveilles de la nature et de l’art. Ces richesses étaient telles que plusieurs pillages ne suffirent pas à dépouiller entièrement la capitale impériale. Après que d’importantes expositions, à Prague notamment en 1997, ont évoqué ces collections légendaires, le Musée Magnin à Dijon en propose un digest, d’autant plus nécessaire que les Français connaissent mal cet aspect de l’histoire de l’art européen.

Le caractère hétéroclite de la première salle est à l’image de l’extrême diversité des collections rodolphiennes. Une série de portraits de Rodolphe II, en peinture, en gravure, en médaille, en pierre dure, en sculpture, en orfèvrerie, côtoie de somptueux objets, telle la coupe en agate de Miseroni, sur une monture en or émaillé et émeraudes, le rosaire avec médaillon du Christ et de la Vierge en lapis-lazuli, ou une cuillère en ivoire Yoruba.

Sous le règne de Rodolphe II, qui s’éteint en 1612, Prague apparaît comme l’un des foyers artistiques les plus féconds d’Europe ; on ne voit guère que Rome pour lui disputer ce titre. Un art raffiné et sensuel, élégant et puissant à la fois s’y développe, grâce à des artistes, pour la plupart venus des Pays-Bas, au premier rang desquels figurent Bartolomeus Spranger (1546-1611) et Adriaen de Vries, délégué par son maître Giambologna, peu désireux de quitter Florence.

Dans l’exposition, un certain nombre d’œuvres semblent décliner les différentes figures de la possession et de l’étreinte, de Mercure et Psyché (Jan Harmensz. Muller) à Hercule et Déjanire (Spranger et de Vries), en passant par l’Enlèvement d’une Sabine (Muller). À côté d’images pieuses, inévitables en ces temps de contre-réforme, les artistes se complaisent dans une iconographie de la séduction et de la lascivité, Spranger portant l’ambiguïté jusqu’à donner un même déhanchement provocateur à Vénus et à Marie Madeleine. Le costume mortuaire de l’empereur, qui clôt le parcours, marque l’irruption de Thanatos dans cette célébration d’Éros.

- PRAGA MAGICA 1600, L’ART À PRAGUE AU TEMPS DE RODOLPHE 11, jusqu’au 15 décembre, Musée Magnin, 4 rue des Bons-Enfants, 21000 Dijon, tél. 03 80 67 11 10, tlj sauf mardi 10h-12h30 et 14h-18h. Catalogue, éd. RMN, 128 p., 23 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Prague la lascive

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