L’église de l’abbaye du Mont-Saint-Michel présente cet été une cinquantaine d’artefacts représentatifs de son histoire.
Le Mont-Saint-Michel (Manche). Pour les dizaines de milliers de touristes qui arpentent le Mont-Saint-Michel en haute saison, l’église abbatiale du mont constitue souvent un simple point de passage vers le reste de l’abbaye. « Les visiteurs ont une connaissance plus ou moins fine des lieux, et parfois ils peuvent montrer une pointe de déception dans l’église », observe Brigitte Galbrun, conservatrice des antiquités et objets d’art du département de la Manche et co-commissaire de l’exposition « La demeure de l’archange ». Ce parcours en cinq sections vise à attirer les visiteurs dans l’église qui fête, avec l’abbaye, le millénaire de sa fondation cette année.
Avec sa façade néoclassique et son intérieur vide d’objets, l’église aurait besoin d’un véritable appareil de médiation pour intéresser les touristes. Le parcours organisé par le Centre des monuments nationaux comble cette carence, en signalant à travers de beaux objets les grandes étapes de la vie du Mont. À commencer par son édification dans un style roman, bien avant le gothique flamboyant puis les remaniements de l’édifice à partir du XVIe siècle. Une grande maquette de la fin du XVIIe invite le visiteur à jouer au jeu des sept différences avec l’état actuel de l’abbaye. D’autres objets qui d’ordinaire ne sortent pas des réserves du Mont illustrent cette histoire architecturale, comme deux beaux anges musiciens du XVIe siècle.
Dans les chapelles latérales de l’église, de grandes bannières de pèlerins permettent de restituer l’importance du Mont dans l’Europe médiévale des reliques et pèlerinages. Suit un point fort sur la renaissance religieuse du Mont au XIXe siècle, pour laquelle les deux commissaires ont réuni les objets les plus remarquables : le trésor du Mont-Saint-Michel créé par la maison Mellerio en 1878. Un grand collier, une épée symbolique, une couronne ainsi qu’une statue en argent de saint Michel témoignent de la débauche de moyens (réunis par des souscriptions) qui sont engagés pour raviver le culte de saint Michel et le pèlerinage sur le Mont, au lendemain de la guerre franco-prussienne et de la Commune de Paris.
Cette réunion inédite du trésor donne à voir l’importance du Mont dans la réhabilitation des grands lieux de la foi, à la fin du XIXe siècle. L’exposition est en revanche moins diserte sur la période non moins passionnante qui précède, lorsque l’abbaye est transformée en une prison pour des détenus de droit commun. Nul objet n’a été trouvé pour illustrer ces soixante-dix années où les prisonniers s’entassaient dans la nef de l’église abbatiale, découpée dans sa hauteur pour accueillir les « cages à poules ».
C’est donc plutôt l’histoire religieuse du Mont qui est ici mise en valeur, avec un focus particulièrement intéressant sur la fin du XIXe. Mais les visiteurs s’arrêteront-ils devant les cimaises, délibérément conçues pour se fondre dans l’architecture de l’édifice ? Malgré des efforts de signalétique, pas sûr que les cinq sections disséminées dans la vaste nef soient comprises comme un parcours d’exposition par le flot de touristes qui anime l’abbaye. Les cinq Frères et sept Sœurs qui forment la communauté monastique du Mont-Saint-Michel apprécient en revanche de voir leur église peuplée d’objets : « La communauté nous a demandé de tout laisser après l’exposition », rapporte Brigitte Galbrun.
Des outils peu efficaces contre le tourisme de masse
Fréquentation. 33 000 visiteurs pour le seul vendredi de l’Ascension, des ruelles noires de monde et des bus-navettes suspendus dès 13 heures pour endiguer le flot de touristes : le Mont-Saint-Michel a connu un long week-end de mai chaotique. L’établissement public national gestionnaire du site a pourtant mis en place des mesures pour éviter cette concentration de curieux, et étaler les flux touristiques. Ces efforts reposent essentiellement sur la billetterie du parc de stationnement : « Notre grille tarifaire a été revue, pour introduire l’idée d’une moyenne saison, moins binaire que la séparation entre basse et haute saisons », explique Thomas Velter, son directeur général. Ainsi, le stationnement d’une voiture pour une durée de plus de trois heures coûte 10 euros en basse saison (novembre-février), 21 euros en haute saison (juillet-août), et 17 euros pour cette nouvelle « moyenne saison » qui couvre le printemps et le début de l’automne. Mais le différentiel paraît trop maigre (4 €) pour inciter les vacanciers à reporter leur visite. Une période de gratuité est également instaurée à partir de 18 h 30, afin de lisser la fréquentation quotidienne sur des horaires plus calmes. Problème : l’abbaye, gérée par le Centre des monuments nationaux, ferme ses portes à 19 heures en haute saison, 18 heures en basse. Visite gratuite, certes, mais sans pouvoir accéder au joyau du Mont. L’établissement public évoque également un abonnement annuel à 36,50 euros, avec accès illimité, afin de lutter contre la concentration des flux… Difficile de comprendre comment une incitation à revenir sur le Mont peut freiner la surfréquentation. Les récentes images du Mont laissent planer un doute sur l’efficacité globale de ces mesures, alors que le site normand se prépare à vivre une année record. Il ne sera en tout cas pas question de quotas de visiteurs : le maire du Mont-Saint-Michel en rejette catégoriquement l’idée.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Pour son millénaire, une abbaye remplie de trésors