À la fin des années quarante, Jackson Pollock (1912-1956) était descendu dans la rue pour manifester contre le Museum of Modern Art de New York qui, à son sens, ne soutenait pas suffisamment les artistes américains. Aujourd’hui, le MoMA le consacre à travers un important hommage dont seuls, avant lui, Picasso et Matisse avaient bénéficié.
NEW YORK - La rétrospective Jackson Pollock dépasse par la taille toutes les expositions organisées au MoMA, celles de Picasso et de Matisse exceptées. Aussi, comme à ces deux occasions, la collection permanente a-t-elle été déplacée pour céder ses cimaises aux cent quatre tableaux, à la cinquantaine d’œuvres sur papier et aux quelques sculptures de moindre importance réunis pour l’événement, ainsi qu’à la reconstitution de l’atelier de l’artiste. Le MoMA avait déjà présenté une rétrospective de l’œuvre de Pollock en 1967, et le Centre Georges Pompidou lui a rendu hommage en 1986.
Jackson Pollock se considérait comme un génie incompris et le proclamait à qui voulait l’entendre, dans les vernissages ou les bars de Manhattan où se retrouvaient, dans les années quarante et cinquante, artistes et amateurs d’art. “Tout le monde est de la merde, à part De Kooning et moi”, répétait-il inlassablement. Et si, en 1943, lors de la première exposition personnelle de Pollock dans une galerie de Manhattan, Alfred Barr, alors conseiller au département Peintures et Sculptures du MoMA, avait été un acheteur réticent, l’année suivante, un premier tableau de l’artiste, She-wolf, entrait dans les collections du musée. Dans l’essai qu’il a rédigé pour le catalogue de l’exposition, le conservateur en chef Kirk Varnedoe tente de déceler d’où l’œuvre tient sa force : l’Ouest américain, les paysages, les objets d’art des Indiens, le spiritisme, la peinture murale mexicaine, l’enseignement de peintres tels que Thomas Hart Benton et John Graham, les maîtres anciens et modernes. Pollock disait pourtant ne fréquenter que rarement les musées afin de ne pas “faire les mêmes fautes”.
À côté de ses œuvres, parmi lesquelles figure un mural de 1943 – sa première tentative, rarement exposée, de travail à grande échelle –, l’exposition présente un ensemble de portraits de Pollock signés Arnold Newman ou Hans Namuth. Le célèbre film le montrant en train de peindre, que Namuth a réalisé en 1950, est également projeté.
Lettres de Van Gogh, portraits de Pollock
Avant que Andy Warhol ne devienne une star, Pollock a sans doute été le peintre le plus souvent photographié, ce qui a renforcé sa réputation de “Jack the Dripper”, comme l’avait baptisé avec suffisance le magazine Time dans un numéro de 1956. Pour Kirk Varnedoe, ces photographies, surtout celles du peintre en action, sont précieuses : “Il travaille à certaines des plus grandes œuvres de sa carrière, et c’est un regard privilégié que celui du photographe seul avec le peintre dans son atelier. Pour moi, ces photos sont à Pollock ce que les lettres sont à Van Gogh. Il nous est désormais impossible d’imaginer l’artiste sans elles, tant elles ont façonné notre conception de sa manière de travailler, cette concentration intense, son engagement physique dans la réalisation de ses peintures”.
Les photographies permettent de mieux comprendre l’influence qu’a exercée Pollock sur les générations suivantes d’artistes conceptuels ou qui ont refusé la peinture de chevalet, une influence – pas toujours positive, d’ailleurs– générée autant par ses portraits que par ses œuvres. “Elle déborde la peinture pour gagner d’autres domaines, et je pense que ces images ont exercé une énorme influence sur l’art de la performance, sur l’art en tant qu’activité au-delà de tout médium particulier”, estime Kirk Varnedoe. Son image de “poète maudit” alcoolique et sa mort légendaire au volant d’une voiture, à East Hampton en 1956, ont largement contribué au mythe. On songe inévitablement à Van Gogh et à l’acteur James Dean, mort en pleine jeunesse quelques années après Pollock.
1er novembre-2 février, Museum of Modern Art (MoMA), 11 West 53rd Street, New York, tél. 1 212 708 94 00, tlj sauf mercredi 10h30-18h, vendredi 10h30-20h30. Puis, 11 mars-6 juin, Tate Gallery, Londres.
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Pollock, le poète maudit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Pollock, le poète maudit