La grande exposition d’été, qui rassemble 140 dessins européens et américains de quatre-vingt-un artistes, prêtés par soixante-treize collectionneurs de New York et des environs, est la première que consacre la Pierpont Morgan Library à l’art moderne et témoigne de sa volonté de collectionner également l’art du XXe siècle.
NEW YORK (de notre correspondant) - L’art moderne a envahi la Morgan Library. Des Braque, des Boccioni, des Pollock ont délogé les Bibles de Gutenberg et les œuvres de Raphaël. Comme le souligne Charles Pierce, son directeur, elle ne renonce pas pour autant à son rôle de conservation des manuscrits illuminés, des incunables et des dessins anciens. Elle prend simplement acte du fait que les artistes modernes vont peu à peu rejoindre les vieux maîtres et s’adapte au cours du temps.
Mais la prudence est de mise. “Nous essayerons de construire ces collections de façon très sélective, en restant tout à fait dans l’esprit des fondateurs et des différents directeurs, explique Charles Pierce, ajoutant que dans le domaine du dessin, le but immédiat est de collectionner des œuvres de la première moitié du siècle, surtout des écoles et des artistes majeurs, d’abord européens, avec quelques exemples britanniques et américains”. La Morgan n’achètera pas d’art contemporain : “Cela ferait de nous une sorte de musée, et je ne suis pas du tout certain que ce soit la véritable mission de l’institution”, précisant qu’elle ne collectionnera pas non plus les photographies ou les gravures – par tradition, elle n’acquiert que des gravures ayant un lien direct avec les dessins de la collection.
Pierres angulaires de ce nouveau département, la collection Carter Burden de premières éditions ou d’éditions rares de littérature américaine du XXe siècle, la donation promise par Eugene et Clare Thaw de dessins modernes, et les archives de la galerie Pierre Matisse. Établie à Manhattan et dirigée par le fils d’Henri Matisse de 1931 à 1990, cette dernière possède plus de 2 000 lettres d’artistes, ainsi qu’une centaine de dessins de Balthus, Calder, Chagall, Chirico, Dubuffet, Giacometti, Miró, Rouault, Tanguy et autres peintres de la galerie. S’y ajoutent plus de 800 lettres non publiées de la correspondance entre Pierre et Henri Matisse, de 1919 à 1954, dont beaucoup sont illustrées. John Russell a reçu l’autorisation exclusive d’accéder à ce trésor pour la rédaction du livre qu’il vient de publier, Matisse, père et fils, qui éclaire d’un nouveau jour les relations au sein de la famille Matisse et le contexte de l’art moderne au milieu du XXe siècle.
Les archives de la galerie Matisse
La Morgan doit beaucoup à Gene Thaw : ses dessins de maîtres français du XIXe siècle ont complété la collection permanente qui s’arrêtait de façon arbitraire vers 1830. D’autres dons de sa part constituent un solide ensemble d’art du XXe siècle : six Picasso, cinq Matisse, deux Klee, deux Mondrian, un carnet d’esquisses et un dessin de Pollock, des Chagall, Chirico, Max Ernst, de La Fresnaye, Giacometti, Léger, Modigliani. C’est aussi grâce à Gene Thaw, administrateur à la fois de la Pierpont Morgan Library et de la fondation familiale de la galerie Matisse, que lui sont revenues les archives de la galerie Matisse, convoitées par le Metropolitan, le Museum of Modern Art et Harvard. Bien qu’elle s’appuie essentiellement sur les mécènes privés, l’institution compte aussi parmi ses bienfaiteurs quelques collectionneurs d’art du XXe siècle.
Les deux commissaires de l’exposition, William Griswold, conservateur des dessins et spécialiste des maîtres anciens, et Carol Selle, membre du comité externe du département des Dessins, ont visité plus d’une centaine de collections privées, essentiellement dans l’Upper East Side, à partir desquelles ils ont réuni un ensemble de dessins modernes digne d’un musée : dix de Picasso, huit de Matisse, cinq de Juan Gris et Paul Klee, quatre de Beckmann et Mondrian, trois de Braque, Léger, Miró, Kandinsky, Gorky, de Kooning et Pollock. Si les dessins cubistes, futuristes et américains sont particulièrement beaux et les œuvres surréalistes intéressantes, le Constructivisme russe et l’Expressionnisme allemand sont faiblement représentés. Inévitablement, il manque certains grands dessinateurs, dont Franz Marc, Derain, Munch, Ensor et Sargent. Mais quatre artistes vivants sont présents : Matta, Balthus, Lucian Freud et Louise Bourgeois.
Jusqu’au 29 août, Pierpont Morgan Library, 29 East 36th Street, New York, tél. 1 212 685 0610, tlj sauf lundi et jf 10h30-17h, vendredi 10h30-20h, samedi 10h30-18h, dimanche 12h-18h.
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Pollock chasse Raphaël
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Pollock chasse Raphaël