Les « images du monde flottant » réunies au Grand Palais évoquent les « quartiers de plaisir » qui se développent dans les grandes villes du Japon aux XVIIe et XVIIIe siècles.
PARIS - « L’avènement du gouvernement des Tokugawa instaure à partir du XVIIe siècle une longue période de prospérité économique, favorisant l’émergence de classes urbaines aisées en particulier à Edo, la future Tôkyô. Dès lors, ukiyo […] désigne le monde actuel avec ses scènes de vie quotidienne, ses fêtes et la vie dans des quartiers de plaisir », explique dans le catalogue de l’exposition du Grand Palais Jean-François Jarrige, membre de l’Institut et président du Musée Guimet. De ce « monde flottant » défini par Hélène Bayou – conservatrice au Musée Guimet et commissaire de la manifestation – comme « un monde contemporain, soumis aux variations de la mode et à la fluctuation des désirs, animé par la quête du divertissement et du pur plaisir », naît, aux XVIIe et XVIIIe siècles, une imagerie nouvelle, fondamentale dans l’histoire de l’art japonais et peu connue du public. Le terme d’ukiyo existe dès le IXe siècle pour décrire, dans la pensée bouddhique, un « monde de tristesse ». De cette première définition, il reste dans les images exposées ici une mélancolie, exprimée par les visages et la plénitude silencieuse qui traverse les scènes, donnant aux œuvres leur caractère poétique. Le culte du beau, de la sensualité et des plaisirs éphémères qui se répand dans les grandes villes japonaises, en particulier à Kyôto, Ôsaka et Edo, donne lieu à une iconographie peuplée de courtisanes, de danseuses et d’acteurs de théâtre kabuki. L’exposition s’attache à rendre compte de l’émergence puis du développement de cet art, des premiers paravents ornés de scènes de genre, anonymes, aux portraits féminins de Kitagawa Utamaro, sans oublier les nombreuses estampes et peintures érotiques (shunga) réunies en différents petits cabinets qui ponctuent le parcours. En Europe, c’est précisément par ce type de sujets que l’estampe japonaise est devenue célèbre. Les plus grands artistes en ont produit et le Musée Guimet a récemment acquis des albums d’Utamaro et de Suzuki Harunobu. Parmi les plus belles œuvres de l’exposition, on relèvera les Images des divertissements secrets d’un soir de printemps, titre poétique d’un album de Miyagawa Chôshun (douze peintures de l’époque Edo, vers 1730) ou encore les Douze chemins de volupté, un ensemble d’estampes de Torii Kiyonaga datant de 1784.
Exposition-fleuve
Au début du XVIIe siècle, les paravents sur fond d’or de l’école Kanô, d’une extrême finesse d’exécution, montrent des scènes de danse, de jeux traditionnels, banquets ou parades de jeunes filles. Au cours de la seconde moitié du siècle, les divertissements dans les résidences et les quartiers de plaisir seront prédominants. L’exposition montre cette évolution avant de présenter les œuvres d’Harunobu – le premier à utiliser la polychromie dans les estampes –, de Kiyonaga et d’Utamaro, davantage axées sur la figure féminine. Utamaro réalise des portraits aux cadrages serrés, représentant ses personnages souvent à mi-corps, soignant l’étude des vêtements et des coiffures pour décliner les différentes catégories sociales.
Cinquante peintures sur rouleaux et paravents, cent cinquante estampes prêtées par le Musée Guimet et de nombreuses collections publiques et privées, japonaises, françaises, allemandes et anglaises, composent cette exposition-fleuve qui aurait sans doute gagné à être plus resserrée. Elle est à ce jour la plus riche et la plus complète sur le sujet.
Jusqu’au 3 janvier 2005, Galeries nationales du Grand Palais, entrée Clemenceau, av. du Général-Eisenhower, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf le mardi 10h-20h, le mercredi jusqu’à 22h. Catalogue RMN, 400 p., 400 ill., 45 euros. À lire aussi : Le Monde des estampes japonaises, par Nelly Delay, Découvertes Gallimard, 48 p., 7,50 euros ; L’Estampe japonaise, par Nelly Delay, Hazan, 328 p., 60,95 euros.
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Plaisirs japonais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Plaisirs japonais