BRUXELLES / BELGIQUE
Le centre culturel bruxellois restitue dans sa scénographie le contexte urbain et sociopolitique des interventions graphiques de l’artiste.
Bruxelles. Il faut regarder attentivement les cartels lors de la visite de la quasi-rétrospective d’Ernest Pignon-Ernest, présentée dans un bâtiment au charme suranné, un ancien jardin botanique. Dans ceux-ci, après le titre, ce sont les lieux d’exécution de ces travaux qui sont indiqués, non la technique employée. Défilent ainsi des noms de villes tantôt proches – Paris, Lyon, Brest –, tantôt éloignées : Soweto en Afrique du Sud, Ramallah en Cisjordanie, Alger.
L’artiste varie peu sa « palette ». Ses images les plus connues sont les impressions sur papier journal de ses dessins à la pierre noire, qu’il placarde lui-même sur les murs, dans un geste souvent à la limite de la légalité. Toutefois, l’attention accordée à la localisation de ces œuvres se justifie par l’importance des liens qu’il établit avec leur contexte politique ou social. L’apartheid en Afrique du Sud, la situation du peuple palestinien dans les territoires occupés ou la mémoire de la guerre d’Algérie sont des exemples parmi d’autres. Ce lien n’est pas uniquement symbolique ; pour Pignon-Ernest, le contact physique entre l’image collée et les lieux reste essentiel. Ses représentations sont toujours engagées.
Dès l’entrée, le spectateur est happé par une photographie monumentale, celles des cadavres étalés tout au long des escaliers conduisant au Sacré-Cœur (Les Gisants de la Commune de Paris, 1971). Comme souvent chez l’artiste, il s’agit d’une évocation d’un événement qui a marqué durement l’Histoire. Cet hommage à la Commune ne résulte pas d’une commande mais exprime un geste spontané. Toujours en mouvement, Pignon-Ernest est comme un sismographe qui réagit à toutes les injustices dans le monde.
La force de l’exposition est la mise en scène exceptionnelle – pas nécessairement dans l’ordre chronologique des interventions –, qui procure le sentiment d’être sur le terrain, in situ. De fait, cette œuvre, née dans la rue et qui ne s’épanouit véritablement que dans le cadre urbain, respire difficilement dans un espace muséal. C’est donc sur un mur pratiquement reconstitué qu’est collée l’image de Pasolini, tenant un corps martyrisé dans ses mains (Se torno, Pasolini assassiné, Rome, 2015). Ailleurs, on suit le poète palestinien Mahmoud Darwich à Bethléem ou Jérusalem (Mahmoud Darwich, 2009). Plus loin, ce sont les bouleversants personnages « enfermés » dans des cabines téléphoniques, lieux de solitude extrême (Derrière la vitre, Lyon, 1996). En somme, chaque lieu détient sa dramaturgie propre, soumise aux règles de la narration qui régissent son histoire, que les images réactivent ou perturbent.
D’autres travaux se réfèrent aussi au monde de l’art ou à celui de la poésie : le Caravage à Naples, Rubens à Anvers, Rimbaud, Neruda, Jean Genet…
Une image un peu déchirée retient l’attention, celle d’une tête de taureau inquiétante, dessinée sur papier journal à l’aide de craies de couleur. Nous sommes en 1962. L’artiste a 19 ans et son admiration pour Picasso est sans bornes. Mais le titre de l’œuvre, Guernica, annonce déjà que, pour Pignon-Ernest, l’esthétique ne se tient jamais à l’écart de l’éthique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°515 du 18 janvier 2019, avec le titre suivant : Pignon-Ernest, des murs de la ville aux cimaises d’un musée