MONTPELLIER
Le Mo.Co (Montpellier Contemporain) accueille trois collections de musées sans attache : une chilienne, une bosniaque et une palestinienne.
Montpellier. On ne sort pas vraiment le cœur léger de l’exposition du Mo.Co (Montpellier contemporain) car les travaux présentés sont issus de musées pas comme les autres : les « musées en exil ». Ces derniers ont peu en commun avec les vénérables institutions où les artefacts, régis par les règles de l’histoire de l’art, sont sagement alignés. Les œuvres ici viennent du Musée international de la Résistance Salvador-Allende au Chili (MIRSA), conservée actuellement au Museo de la Solidaridad Salvador-Allende de Santiago, d’Ars Aevi – une collection constituée pendant le siège de Sarajevo par une association – et de celle du futur Musée d’art moderne et contemporain de Palestine, conservée pour le moment à l’Institut du monde arabe, à Paris.
Même si chacun de ces « musées » a des particularités historiques et politiques bien spécifiques, tous rappellent « le rôle essentiel de la culture et du patrimoine, tant dans l’établissement d’une identité commune que dans l’émancipation, qu’elle soit politique ou sociale » (extrait du catalogue).
Dans un souci pédagogique, un avant-propos met en scène deux exemples phares d’exils d’œuvres en Europe au XXe siècle : celui de Guernica réalisée pour l’Exposition universelle de 1937 par Pablo Picasso et qui ne rejoindra l’Espagne que quarante-quatre ans plus tard, et la spectaculaire évacuation des chefs-d’œuvre du Louvre en prévision de l’invasion allemande (1939).
Les travaux venant des trois collections sont montrés, clairement séparés. À commencer par la plus ancienne : la collection chilienne, [accueillie en France après le coup d’État, de 1975 à 1991]. Parmi les œuvres – toutes données par les artistes –, nombreuses sont celles qui expriment une contestation virulente de la prise de pouvoir par la junte militaire au Chili. On découvre ainsi Les Disparus de José Balmes (1978), un nuage noir qui obstrue l’horizon, Résistance d’Alejandro Marcos (1974, voir ill.), des militaires armés menaçants, Pinochet de Lou Laurain-Lam (1976), une caricature monstrueuse du dictateur ou une toile qui garde un espoir malgré tout, Les Grandes Avenues s’ouvriront de nouveau… S. Allende de Gracia Barrios (1976). Un peu à l’écart, dans la même salle, sont exposés des travaux abstraits d’artistes latino-américains, participant à la mouvance cinétique, souvent en exil en France : Victor Vasarely, Jesús Rafael Soto ou Julio Le Parc.
La collection Ars Aevi – ce terme étant l’anagramme partielle de Sarajevo – a été constituée dès 1992, en collaboration avec des musées, centres d’art et fondations, et plus de cent cinquante artistes internationaux qui ont fait des donations d’une ou de plusieurs œuvres en réaction à ce que l’on a cru – à tort – comme la dernière guerre en Europe. Les quelques artistes yougoslaves – Nebojsa Seric-Shoba, Anur, Braco Dimitrijevic – voisinent, dans l’accrochage, avec des vedettes de l’art contemporain – Bill Viola, Andres Serrano, Michelangelo Pistoletto ou encore Tony Cragg, avec une installation étonnante, bien éloignée du style lisse et élégant habituel de l’artiste (Carrière, 1990, voir ill.). Face à ces œuvres, généralement sobres, les visiteurs défilent en silence, sans un mot. Un certain optimisme est permis quand on sait que les plans pour le musée prévu par la Ville de Sarajevo ont été dessinés par Renzo Piano avec le soutien de l’Unesco.
La question du lieu est plus cruciale quand il s’agit de l’art palestinien que l’on peut voir un peu partout, sauf en Palestine. Il suffit d’écouter l’artiste et écrivain Kamal Boullata évoquer cette situation paradoxale : « Depuis les cinq dernières décennies, l’art palestinien fut donc obligé de reprendre son développement tardif sous des cieux différents. » Les œuvres montrées ici sont le résultat de dons solidaires d’artistes. L’initiative de fonder une association est venue de l’artiste Gérard Voisin et de Mounir Anastas, ambassadeur palestinien à l’Unesco. On soupçonne toutefois l’enthousiasme d’Ernest Pignon-Ernest – toujours sensible aux injustices et conseiller officieux de cette collection – d’avoir contribué au succès de cet élan de générosité. Ce n’est sans doute pas un simple hasard si de nombreux créateurs des années 1960, une génération particulièrement active politiquement, ont répondu à l’appel. Parmi eux, Gérard Fromanger, Marinette Cueco, Antonio Segui, Vladimir Velickovic et son paysage dévasté par la guerre (Paysage, 2004) ou Henri Cueco avec Chiens courants (1993), une métaphore puissante de la violence humaine. La photographie d’Anne-Marie Filaire, qui refuse tout pathos, décrit sans aucune fioriture, les conditions de vie dans les territoires occupés. On regrette toutefois l’absence de travaux d’artistes israéliens, lesquels, en grande majorité, soutiennent la cause palestinienne.
La grande qualité de ce parcours, orchestré par Vincent Honoré, directeur des expositions, et Pauline Faure, conservatrice au musée, est de trouver un juste équilibre entre éthique et esthétique, entre des œuvres explicitement militantes et d’autres plus « neutres ». Tout en étant face et dans l’histoire, l’exposition, qui ne confond pas artefact et affiche, ne se transforme ainsi pas en une « exposition-manifeste ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : À Montpellier, des œuvres SDF, très politiques