Marseille (13)

Picasso voyageur ?

Centre de la Vieille Charité et Mucem - Jusqu’au 24 juin 2018

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 26 mars 2018 - 558 mots

On peut attendre de chaque nouvelle exposition de Picasso qu’elle apporte son lot d’interrogations et de surprises.

Marseille ouvre grand les bras à ce démiurge solaire qui ne s’est jamais rien interdit. Dans le cadre de la manifestation « Picasso – Méditerranée », qui se tient jusqu’en 2019, elle accueille deux expositions bien différentes. L’une se penche sur les sources d’inspiration, parfois géographiquement lointaines, de Picasso. L’autre explore les liens privilégiés qu’entretenait l’artiste avec les arts et traditions populaires et sa collaboration avec Sergei Diaghilev. Au sein des espaces chargés de trois siècles d’histoire du Centre de la Vieille Charité, situé au cœur du quartier du Panier, la question de Picasso voyageur est posée. D’où tirait-il son inspiration ? La première salle propose une découverte surprenante : quatre-vingt-neuf cartes postales ayant appartenu à Picasso, achetées par lui ou reçues de ses amis artistes, poètes et intellectuels qui parcouraient la planète, illustrent merveilleusement, et naïvement, la diversité des centres d’intérêt visuels de l’artiste. Des clichés de femmes d’Afrique noire achetés en 1906, corps féminins mis en scène à demi-nus revêtus d’un tissu hachuré, rayé ou à motifs géométriques, auraient exercé une influence déterminante sur Picasso. Isis Jourda précise dans le catalogue de l’exposition : « C’est grâce à la connaissance de ces cartes que l’on peut parler d’une véritable source d’inspiration africaine pour Les Demoiselles d’Avignon. » À mettre en regard avec, entre autres, les deux masques de danse anthropomorphes Krou de la région du Bas-Sassandra de Côte d’Ivoire que possédait Picasso. Cette exposition fait apparaître que l’artiste ne ressentait pas la nécessité de faire de longs voyages pour stimuler sa créativité. Il n’a jamais quitté le continent européen. Hormis ses trajets entre l’Espagne et la France, il s’est rendu en Angleterre, en Pologne, en Hollande et en Italie. Son regard sur des images et des sculptures venues d’ailleurs lui suffisait pour développer ses recherches les plus novatrices. Des œuvres en résonnance avec des formes et des lumières d’autres civilisations et d’autres cultures se dévoilent au fil des salles, à chaque étape de son long parcours. Au Mucem, un tout autre univers saisit le visiteur quand il pénètre dans une vaste salle du fort Saint-Jean totalement saturée de présences en trois ou deux dimensions : mannequins de plus de deux mètres de haut, marionnettes, rideaux de scène, masques, innombrables esquisses peintes de costumes, études et maquettes de décors et de vêtements… réalisés par Picasso. Ses voyages en Italie puis en Espagne en 1917 marquent le début de sa collaboration avec Sergei Diaghilev et les Ballets russes. Parade (1917) rend hommage au monde du cirque et aux arts populaires napolitains, Le Tricorne (1919) et Cuadro Flamenco (1921) font référence aux traditions espagnoles, alors que Pulcinella (1920) renouvelle avec faste les chorégraphies classiques. Le peintre, confronté à l’univers de la danse, imagine des réalisations formelles totalement inédites qu’il associe à des éléments empruntés au folklore, à la commedia dell’arte, au théâtre de marionnettes, aux danses folkloriques, aux enseignes et affiches populaires et à l’art sacré. L’une des pièces les plus saisissantes de l’exposition est Le Manager américain, un personnage monstrueux de plus de trois mètres de haut, sculpture d’assemblage qui évoque irrésistiblement la période cubiste de Picasso, ici un cubisme hétéroclite totalement déjanté.
 

« Picasso, voyages imaginaires »,
Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité et Mucem, 7, promenade Robert-Laffont, Marseille (13), www.musees.marseille.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Picasso voyageur ?

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