Commandé par la Warner Brothers et conçu pour toucher l’audience la plus large, Surviving Picasso sort en France le 11 décembre.
Le film a demandé cinq ans de préparation sans réussir à obtenir des héritiers le droit d’utiliser les œuvres de l’artiste. Réalisé par James Ivory sur un scénario de Ruth Prawer Jhabvala, le point de départ du film est la biographie sulfureuse publiée en 1988 par Arianna Stassinopoulos Huffington sous le titre Picasso : Creator and Destroyer. Pour cette “tranche de vie” de l’artiste (1943-1953), Anthony Hopkins campe un Picasso-Lear matois mais vulnérable, et Natascha McElhone joue une Françoise Gilot jeune et passionnée, qui abandonne tout pour son grand homme, lui donne deux enfants, puis finit par le quitter. Le film abonde en personnages excentriques : voici l’insouciant Paulo, fils du premier mariage de Picasso, fonçant à moto sur la route ; voici encore un chapelet de femmes – toutes célèbres – plus ou moins attachées à l’artiste ; jusqu’au secrétaire de Picasso, Jaime Sabartés, transformé en valet à l’anglaise, qui confesse vers la fin que son patron l’irrite. L’avenir dira si Surviving Picasso s’inscrira dans la lignée des succès du tandem Ivory/Merchant – le producteur de Chambre avec vue, Retour à Howard’s End et les Vestiges du jour – ou s’il viendra grossir la liste des films nettement moins réussis du réalisateur britannique, tels que Jefferson à Paris.
Pourquoi avoir réalisé un film sur Picasso ?
James Ivory : Mais parce qu’il a eu une vie extraordinaire ! Elle couvre pratiquement un siècle, neuf décennies truffées d’événements et de rencontres. Picasso est à l’origine d’un incroyable bouleversement dans la peinture et dans les autres arts, pour ne rien dire du personnage qu’il était : un homme hors du commun, chimérique, ravageur. Voilà de quoi filmer !
Mais alors pourquoi n’avoir retracé que dix années de sa vie ?
Lorsqu’en 1991 la Warner Brothers m’a téléphoné pour me proposer de réaliser un film sur Picasso, je venais juste de terminer la lecture du livre de Françoise Gilot, sans rien savoir encore de ce projet. J’avais été enthousiasmé par cette période ; elle correspondait à l’idée que je me faisais de Picasso et de sa peinture. Cette époque de sa vie m’intéressait davantage que sa jeunesse à Barcelone ou ses premières années parisiennes, qui appartiennent à un passé beaucoup plus lointain, alors que les années cinquante touchent au monde d’aujourd’hui. Et, de toute façon, c’était le film que la Warner souhaitait faire, après avoir vainement essayé de produire un téléfilm retraçant la vie entière de Picasso : il s’agit donc d’un film “de commande”, comme disent les Français.
Qu’est-ce qui rend la période 1943-1953 si intéressante ?
Toutes ces femmes, à la personnalité si différente, qui gravitent autour de Picasso : Olga, l’épouse folle et triste qui lui fait des scènes de ménage, et puis Jacqueline Rocque, cette jeune femme qui finit par l’épouser et organiser sa vie pour lui. Ajoutez-y les grands événements historiques de l’époque : Paris sous l’Occupation, la Libération, les relations des intellectuels français avec le stalinisme. Sans compter l’intérêt naturel pour un homme qui a mené cinq femmes par le bout du nez…
Comment montrez-vous son œuvre dans le film ?
Le film fait de nombreuses références à son art, mais nous n’avons pas obtenu le droit de reproduire ses œuvres, sous aucune forme. Il existait cependant de multiples façons de le suggérer et, lorsque vous verrez le film, vous comprendrez. Je crois que le résultat est assez satisfaisant.
En d’autres termes, les héritiers de Picasso ne vous ont pas autorisés à utiliser ses peintures ?
C’est ainsi. À la différence des successions Matisse et Braque, qui nous ont donné carte blanche.
Pourquoi ? Que s’est-il passé ?
Je ne peux vraiment pas en parler. Ils n’ont pas été coopératifs, voilà tout. Selon certaines personnes à Paris et d’après des amis de Claude Picasso, ce dernier souhaitait réaliser une sorte de film-documentaire sur la vie de son père et a jugé qu’il n’était pas dans son intérêt que cette fiction sur Picasso soit produite. Vrai ou non, ce n’est qu’une simple supposition. Aucune raison n’a été donnée, aucune discussion n’a même été possible : c’était simplement “non”. La Warner et nous-mêmes avons pourtant multiplié les ouvertures. Dans un premier temps, nous avons eu le soutien et la bénédiction de Françoise Gilot : elle était très intéressée par l’idée que le film soit centré sur “sa” période. Et puis quelque chose s’est produit. Nous ne savons pas quoi.
Existe-t-il un film sur un artiste que vous ayez particulièrement apprécié ?
Le meilleur film que j’ai vu sur le sujet est Le mystère Picasso de Henri-Georges Clouzot [1955, 78 mn, réédité par la RMN et Arte vidéo, 139 F], qui correspond exactement à la période évoquée dans notre film. C’est véritablement un film de maître. Clouzot nous fait découvrir la personnalité de Picasso, son allure, sa façon de parler, la manière dont il s’exprimait avec son corps. J’ai également beaucoup aimé le film de Robert Altman sur Van Gogh et son frère Théo. Il y aussi, bien sûr, les vieux films hollywoodiens qui romancent la vie des peintres : vous savez, Lust for Life et les choses de ce genre…
À votre avis, pourquoi réalise-t-on actuellement tant de films sur les artistes ? [Lire à ce sujet le JdA n° 26, juin 1996]
Je ne sais pas. Pourquoi y a-t-il soudain tant de films d’après l’œuvre de Jane Austen ? Allez savoir ! Mais dans le cas de Picasso, ce n’est pas difficile à comprendre. C’était un homme extraordinairement intéressant, gai et théâtral. Un film sur Giacometti serait tout aussi spectaculaire, mais peu de sculpteurs ou de peintres ont connu une vie aussi mouvementée. La plupart d’entre eux ont passé leur vie à sculpter patiemment des blocs de pierre ou à rester des heures durant devant leur chevalet, les brosses en main, rectifiant, abandonnant, puis modifiant de nouveau leur travail. Pas vraiment de quoi faire un film.
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Picasso, une tranche de vie ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°31 du 1 décembre 1996, avec le titre suivant : Picasso, une tranche de vie ?