Cerith Wyn Evans éblouissant à Metz

Metz (Moselle). Près de vingt ans après son exposition au Musée d’art moderne de Paris en 2006, Cerith Wyn Evans (né en 1958) revient enfin en France, au Centre Pompidou-Metz. Le projet de l’artiste est en deux parties. La première, dans la Nef, se présente comme un jardin d’hiver minimaliste que surplombe l’ombre dédoublée d’un squelette cristallin saisi dans le halo d’un projecteur. Un autoportrait de l’artiste conceptuel gallois, aux prises dès son plus jeune âge avec l’irréductible dualité du langage ? « C’est la première fois en tout cas que la figure humaine apparaît dans son travail de façon aussi explicite », relève Chiara Parisi, la directrice du Centre Pompidou-Metz. Wyn Evans investit également la galerie du troisième étage, qu’il a transformée en un quadrilatère traversé de lumière (grâce aux deux baies vitrées latérales ouvrant sur la ville, à laquelle le titre emprunte ses « Lueurs »). Cet immense White Cube bruisse aussi de reflets, car ses murs ont été tapissés de miroirs. Des sculptures en néon y sont disposées, la plupart suspendues au plafond, formant des constellations d’objets lumineux et sonores. « Les zones de sons varient tout au long de l’exposition, ce qui crée une dynamique dans l’espace », explique l’artiste. La complexité d’un dispositif qui fait cohabiter ces installations sans que l’une parasite l’autre se dilue dans la limpidité du parcours, caractérisé par sa fluidité. Aucun cartel ne vient non plus s’interposer entre les pièces et les visiteurs, libres de déambuler « comme dans un jardin ». Chaque œuvre est un poème, un rébus, une « image mentale » pour reprendre le mot de la commissaire, Zoé Stillpass. S’y mêlent des allusions à l’histoire de l’art, des détails biographiques, des citations littéraires, un tropisme pour la culture japonaise et un rapport au monde défini par une extrême acuité.

Ainsi Neon after Stella (2022) (voir ill.) est une variation d’après les peintures noires que Frank Stella a commencé à peindre en 1958 (année de naissance de Wyn Evans). Reprenant cette série comme une partition, il en offre une version en négatif, les bandes sombres étant ici remplacées par des néons, hommage plein de malice au moment de seuil où se tient alors l’art américain, avant de basculer dans le Pop. Placées les unes derrière les autres, ces sculptures d’inspiration picturale se parent au gré du regard d’effets moirés. Plus loin, des pare-brise fracturés à coup de marteau, accrochés par grappes de deux ou trois, oscillent doucement à la façon de mobiles (phase shifts (after David Tudor), 2023) (voir ill.). On imagine la jubilation destructrice à fracturer ces écrans qui (à l’instar de ceux des téléphones portables pour lesquels l’artiste confesse une franche détestation), protègent du monde extérieur. On remarque que leurs formes bordées d’un trait noir évoquent le Grand Verre de Duchamp, figure de référence révérée. L’une des œuvres la plus stupéfiante frôle l’invisibilité. Il s’agit de parois de verre assemblées de façon à former des sortes d’isoloirs transparents, à l’intérieur desquels on écoute un mélange de sons venant de l’espace et de bribes de musique. Cette architecture inframince emprunte à Boulez son titre Pli S=E=L=O=N Pli (2020), lui-même en référence à la poésie de Mallarmé. Et au livre Pli de Deleuze. Et… ainsi, à l’infini, comme une réverbération étincelante des méandres du souvenir et de la pensée humaine.