Dans la ville où il est né, une ambitieuse exposition raconte le romantisme français dont ce peintre fut un illustre représentant.
Dordrecht (Pays-Bas). Sur une place de Dordrecht, se dresse la statue d’Ary Scheffer (1795-1858). Celui qui fut considéré comme l’un de nos grands peintres romantiques est né ici et, bien qu’arrivé à Paris, à l’âge de 16 ans il ait été naturalisé français, il n’a jamais oublié ses origines. En 1854, son tableau L’Amour céleste et terrestre (1850) (voir ill.) a fait sensation lors de son exposition dans le musée de la ville. Il lui a donné en 1857 son Christ à Gethsémani (1839) et, après sa mort, sa fille Cornelia (1830-1899) a fait don à cette institution de la totalité de son atelier – 100 peintures, 300 dessins, 200 estampes. À Dordrecht, sa réputation n’est plus à faire mais le romantisme français reste mystérieux. Dans le catalogue, la commissaire de l’exposition, Quirine van der Meer Mohr, le qualifie d’« insaisissable » parce que, plus qu’un mouvement artistique, il est « l’esprit du temps ».
Cent-vingt œuvres et documents environ, appartenant au musée ou prêtés par de nombreuses institutions françaises et étrangères, racontent la carrière de Scheffer au prisme du romantisme. C’est d’abord la rencontre avec Eugène Delacroix (1798-1863) et Théodore Géricault (1791-1824) dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833), « incubateur de la génération romantique ». Donnée à Géricault par Bruno Chenique, l’esquisse (jusqu’ici inconnue) Massacre au Forum Romanum, probablement l’assassinat de l’Empereur Galba (vers 1810-1812), récemment acquise par le musée, est présentée au public pour la première fois. Tous ces artistes sont des enfants de la Révolution française : le père de Scheffer était peintre du roi de Hollande, Louis Bonaparte, frère de Napoléon qui fut reçu en libérateur par les révolutionnaires néerlandais. Cet attachement aux luttes des peuples marque le travail de Delacroix, qui illustre le combat des Grecs pour leur indépendance, mais aussi celui de Scheffer. Il peint Le Giaour (1832) et, dans Le Christ consolateur (1837), acquis par le duc Ferdinand-Philippe d’Orléans, il montre des Grecs, un drapeau polonais et un esclave libéré de ses chaînes.
Après la révolution de Juillet 1830, il s’installe rue Chaptal où il accueille le vendredi une société romantique. Il se lie avec George Sand, Frédéric Chopin, Pauline Viardot et Franz Liszt qu’il portraiture. Un espace est consacré à son attachement à la famille de Louis-Philippe (dont la fille, Marie d’Orléans, fut son élève dès 1822) et l’influence de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), peintre favori des Orléans, sur ses tableaux religieux. Le paysage romantique n’est pas oublié : en 1836, Scheffer prête son atelier à Théodore Rousseau (1812-1867) pour exposer La Descente des vachesdans le Haut-Jura (1836) refusé au Salon.
Dans la dernière salle qui évoque la maison parisienne du peintre, devenue le Musée de la vie romantique, on peut suivre les péripéties de la construction du monument de Dordrecht. D’abord confié à l’un des anciens élèves de Scheffer, Auguste Bartholdi (1834-1904), le projet fut refusé par Cornelia qui dessina elle-même la sculpture et la fit réaliser par Joseph Mezzara (1820-1901). Ingres, Delacroix et Horace Vernet (1789-1863) supervisèrent le comité qui leva les fonds pour la financer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Ary Scheffer ou le romantisme expliqué aux Néerlandais