PARIS
« Picasso et la guerre », « Picasso et les arts et traditions populaires », « Picasso au cœur des ténèbres », « Picasso-Picabia », Picasso… etc.
Les occasions ont été nombreuses ces derniers temps de revoir l’œuvre de Picasso à l’aune d’une technique (la céramique, la sculpture…), d’une période (la guerre, les vacances…), d’un ensemble (les tableaux dits « magiques », la musique…) ou d’un artiste. Mais cette collection d’affiches demeurerait incomplète s’il ne lui était pas associé le nom de Rodin. C’est désormais chose faite grâce aux regards croisés que les musées Picasso et Rodin portent sur l’œuvre de leurs artistes (« Picasso-Rodin », exposition aux musées parisiens éponymes jusqu’au 2 janvier 2022), accompagnés d’un superbe catalogue édité chez Gallimard. « Encore Picasso », soufflent les uns ; « Toujours Rodin », bougonnent les autres. Il est vrai que l’affiche est inattendue, les deux maîtres ne s’étant jamais rencontrés – peut-être en 1906, mais rien ne l’atteste. Pire, Picasso semble avoir porté du dédain à la sculpture de Rodin. « Le Rodin est une petite chose pour une si grande place. Ce serait très bien si on n’a pas autre chose en attendant. En attendant mon monument, par exemple », aurait-il dit lors du débat sur le remplacement du Monument à Victor Hugo fondu en 1941 sous le régime de Vichy.
Opportuniste, la confrontation n’en demeure pas moins enthousiasmante, moins pour le jeu des comparaisons qu’elle induit que pour la relecture nécessairement nouvelle qu’elle opère de deux œuvres par essence expérimentales. L’histoire de l’art gagnerait d’ailleurs à multiplier ces rapprochements inédits, parfois contre nature, qui forcent les yeux à regarder les œuvres autrement. Dans le cas de « Picasso-Rodin », les emprunts du premier au second sont maigres – il y en a tout de même, les historiens parlant même d’une période rodinienne chez Picasso –, mais les processus de création sont voisins : l’atelier comme laboratoire d’expériences, le non-finito, le désir de tordre la figuration…
Confié aux éditions Gallimard, qui se sont récemment illustrées par leurs Musiques de Picasso, le catalogue emmène de passionnants essais de spécialistes – qui étudient autant les cercles artistiques et littéraires proches de Picasso et de Rodin que la création de leurs musées dans deux hôtels particuliers parisiens. Mais l’intérêt majeur de l’ouvrage réside dans le foisonnement des reproductions et leur proximité, superbement servies par le grand format de l’ouvrage (24 x 32 cm) et par la photogravure. Le rapprochement des œuvres, reproduites souvent en pleines pages, oblige le regard, et l’invite à établir des parallèles visuels ou intellectuels sans toutefois ne jamais le faire basculer dans le jeu des comparaisons. Mieux, aucun artiste, aucune œuvre ne prend le dessus sur l’autre. Sans aucun doute le signe de deux immenses œuvres, comme de la pertinence de les rapprocher aujourd’hui.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Picasso-Rodin