Art moderne

Picasso à petit feu

Par Emmanuelle Vigier · L'ŒIL

Le 1 septembre 1998 - 366 mots

En 1946, Picasso visite l'atelier de poterie Madoura près de Vallauris. ”Il prit un peu d'argile dans ses mains, raconte Roland Penrose, et s'amusa à modeler quelques figurines. Il ne revint que l'année suivante (...) et fut enchanté de voir qu'on avait cuit son œuvre et qu'on l'avait soigneusement conservée”. Ce fut, dès lors, le début d'une longue et fructueuse collaboration avec le céramiste Georges Ramié. 

Pots, cruches, assiettes, plats... naguère fixés par le pinceau allaient dorénavant renaître sous les mains mêmes du maître. Pendant près de trente ans, Picasso ne cessera de “peindre et sculpter” dans l'argile. Et les ateliers Madoura de se peupler d'un bien étrange bestiaire : colombes, chouettes, oiseaux de proie, poissons et minotaures... prêtant leur silhouette à celle des récipients les plus divers. Loin des expériences cubistes, l'artiste renoue avec le goût du métier et du savoir-faire. Picasso aime modeler cette terre rouge et fine que les Romains travaillèrent deux mille ans avant lui, la métamorphosant en d'élégantes amphores. Françoise Gilot rappelait aussi combien son compagnon était fasciné par l'immense foyer de la poterie, tout comme par les aléas du processus de cuisson, conférant aux surfaces un aspect et une coloration aux variations infinies. Dans cette ambiance méditerranéenne, c'est aussi avec toute une thématique antique que l'artiste renoue : ”C'est étrange, à Paris je ne dessine jamais de faunes, de centaures ou autres héros mythologiques (...) c'est comme si ils ne vivaient qu'ici”. L'exposition londonienne de cet automne signée Marilyn McCully     est la première à se concentrer sur l'œuvre céramique de Picasso. Une occasion unique de découvrir plus de deux cents pièces dont les deux tiers, provenant de collections privées, n'ont encore jamais été présentées au public. À noter, en particulier, la série des corridas. L'artiste n'a pu résister au plaisir de fixer sur l'argile son sujet favori, l'ovale des plats se prêtant merveilleusement bien à l'évocation d'une arène. Picasso y mit maintes fois en scène la tragique confrontation entre matador et miura, animant leur marli de la foule des aficionados, partie baignée de soleil, partie plongée dans l'obscurité des teintes marines.

LONDRES, Royal Academy of Arts, 17 septembre-16 décembre. Elle sera ensuite présentée à New York au Metropolitan Museum of Art.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°499 du 1 septembre 1998, avec le titre suivant : Picasso à petit feu

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