GRENOBLE
À l’entrée, une scène cruelle, Le Chat et l’Oiseau (1939), où l’animal présente sa proie avec une satisfaction non dissimulée. À la sortie, une Nature morte au crâne de taureau (1942), magnifique et sombre vanité. Entre les deux, L’Aubade (1942), une toile monumentale dont le titre idyllique est en totale dissonance avec les deux personnages : « le nu jaune boursouflé, comme parcheminé, cadavérique [et] la musicienne blafarde qui veille sur sa dépouille » (Sophie Bernard). Est-on « Au cœur des ténèbres », comme l’énonce l’exposition du Musée de Grenoble qui traite de la production plastique de Picasso pendant l’Occupation ? Sans doute, et certains prêts impressionnants obtenus par le musée – voir L’Homme au mouton (1943), cette sculpture en forme de message d’espoir –, mais aussi une riche documentation démontrent que le peintre n’est pas insensible, loin s’en faut, au contexte de l’époque. Pour autant, on peine à suivre les organisateurs qui voient, dans cet ensemble d’œuvres, « l’omniprésence des sentiments de la mort, de la souffrance et de la peur […] d’un pays sous la coupe de l’oppression nazie ». Pendant la guerre ou avant, n’est qu’à voir le visage défiguré de Dora Maar, la tension agressive, la brutalité, le désir de jouissance et de destruction, ne sont jamais absents de sa pratique. Car le véritable combat de l’artiste est celui qu’il mène avec et contre la matière. Bref, celui du geste créateur.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Picasso face à la guerre