ART MODERNE

Picasso et la femme-siège

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 421 mots

200 œuvres et objets conservés dans la collection de l’artiste et transmises à Jacqueline se déploient au Fonds Leclerc.

Landerneau (Finistère). 1964. Portrait de Jacqueline. La compagne de Picasso est assise. Son regard se dirige hors cadre et n’engage aucun dialogue avec le spectateur. Comme absente, elle est dans son univers, univers dans lequel l’a placée le peintre. Notre œil, qui scrute ce tableau de taille imposante, descend progressivement pour se heurter à un autre personnage – debout ou allongé – sur les genoux de la femme : un chat d’un noir d’encre, presque un monochrome animal. Ses yeux, dotés d’énormes pupilles, nous fixent et ne nous lâchent pas. Un être maléfique ou un rappel de l’Olympia de Manet ? Manet, dont les échos lointains du Déjeuner sur l’herbe ont inspiré quelques toiles exposées à Landernau.

Une « objectivation » de la femme
Jacqueline est assise, mais elle n’est pas la seule à être ainsi représentée. L’une des sections de la manifestation est intitulée « Femmes assises », et on est frappé par la quantité de figures qui adoptent cette attitude. Tantôt de façon plutôt discrète, comme dans ce magnifique autoportrait de 1956 où l’on distingue à peine l’armature du fauteuil, tantôt d’une manière plus explicite quand la personne semble comme emprisonnée dans son siège (Femme assise au chapeau jaune et vert, 1962). Presque toujours, il s’agit de personnages féminins, pour aboutir, comme l’écrit justement l’historien Jean-Louis Andral, commissaire de l’exposition, « à une sorte d’objectivation de la femme, enchâssée entre le dossier et les accoudoirs, dans une position donnant la liberté de toujours renouveler le rapport de l’espace à la figure ». Tandis que Picasso affirme, plus brutalement : « Comme tout artiste, je suis d’abord le peintre de la femme et, pour moi, la femme est essentiellement une machine à souffrir. »

Cependant, le parcours montre d’autres pans de l’artiste espagnol. Certes, il ne s’agit pas de rétrospective, car les œuvres proviennent de la collection de Catherine Hutin, la fille de Jacqueline Picasso. Comme toute collection, elle affiche des manques – les périodes rose et bleue, les collages – qu’elle rattrape avec la production du peintre à partir des années 1950 : portraits, ateliers, minotaures, dialogue avec les « maîtres »… Mais ce sont surtout les dernières années qui restent époustouflantes. Quelque chose de grave, voire de tragique, traverse les visages de ces personnages, marqués et déformés par le temps (Homme à la flûte et enfant, 1971 ; Homme à la pipe, 1971). Picasso devient plus encore inclassable, éclectique, sauvage – libre, en un mot. Le spectateur, lui, ressort bouleversé.

Picasso,
jusqu’au 1er novembre, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, Aux Capucins, 29800 Landerneau.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Picasso et la femme-siège

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