Aussi étonnant que cela puisse paraître, les relations entre la photographie et l’abstraction n’ont pas fait l’objet d’une exposition d’ampleur depuis « Sense of Abstraction » organisé par le MoMA à New York, en 1960.
L’histoire de leurs liens développés sur un siècle par Simon Baker (ancien responsable photo de la Tate Modern) et par Emmanuelle de l’Écotais (conservatrice de la photographie au Musée d’art moderne de la Ville de Paris) fait, par conséquent, figure d’événement. Les trois cents pièces rassemblées rivalisent en vintages souvent méconnus ou jamais montrés et en associations tout aussi inédites de photographies issues de tous les continents, excepté l’Afrique. Aux côtés de Coburn, Steichen, Stieglitz, Moholy-Nagy, Man Ray, Rodchenko, se glissent le Chinois Luo Bonian, la Hongroise Judith Karasz ou le Français Pierre Dubreuil. L’Interprétation Picasso : le rapide (1911) de Dubreuil, mis à côté de Mandora de Georges Braque réalisé un an auparavant, rappelle les préoccupations communes. Cubisme, surréalisme, Dada, Nouvelle Vision, Bauhaus ou New Bauhaus : la déconstruction de l’objet, les recherches de formes, d’effets de transparence ou de mouvements via la lumière mobilisent les artistes toutes disciplines confondues. Des dialogues entre photographies, peinture ou sculpture ponctuent le parcours. Ils montrent que l’abstraction en photographie s’accorde, voire devance celles des autres médiums, comme les recherches de Nathan Lerner précurseur en photo de l’Action Painting. La période des années 1910 à 1970 est particulièrement riche en la matière. Plus courte, voire trop courte, est néanmoins la partie réservée aux années 1980 à nos jours. Elle n’en demeure pas moins évocatrice d’une scène artistique tout aussi passionnante dans son approche de l’abstraction, compilation de médiums et de techniques d’aujourd’hui.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Photographie et abstraction, une histoire qui dure