L’exposition des soixante années d’activité du graphiste américain, père des logos des sociétés IBM et UPS, révèle une talentueuse alliance de l’exigence intellectuelle et des lois du business.
Ses logos sont connus du monde entier : les initiales rayées de la firme informatique IBM, le rond frappé d’un W et d’une barre du fabricant de matériel électrique Westinghouse, le blason du transporteur UPS surmonté d’un paquet enrubanné, les initiales de la chaîne de télévision ABC sur un disque noir, les éditions de l’université de Yale, et encore des dizaines de labels marqués par le sceau de l’efficacité selon Paul Rand. Si son nom est moins familier au public français, l’occasion lui est enfin donnée de découvrir l’immensité du talent de ce génie américain dont chacun connaît au moins une image, une signature.
Logos intemporels
La plupart de ses logos sont toujours usités, quelques décennies après leur conception, preuve certaine de leur pertinence : « On ne peut changer un logo sans d’excellentes raisons », disait d’ailleurs le graphiste. ABC a bien tenté de s’attaquer dans les années 1980 à ce petit rond trop simple… pour finalement se résoudre à garder cette identité créée en 1962. Impossible de faire mieux, n’est pas Rand qui veut !
Jusqu’à sa disparition à quatre-vingt-deux ans en 1996, le maître aura eu la satisfaction de résister à toute refonte de ses identités. UPS décide en 2003 de s’affranchir de son sigle élaboré en 1961 pour finalement affirmer une identité passe-partout, lisse et sans humour. Car ce petit côté pince-sans-rire faisait toute la puissance du graphisme de Rand.Lorsqu’IBM le sollicite, la firme modernise ses modèles en faisant appel à des pointures du design : Marcel Breuer, Eliel Saarinen, les époux Eames. Rand va
s’imposer tout en retenue. Tout d’abord, par le choix typographique simple auquel il ajoutera des bandes rayées. « L’idée m’est venue en pensant à ce type de document sur lequel votre signature est protégée de la contrefaçon par une série de fines bandes parallèles… Chaque lettre était différente, les rayures permettaient d’harmoniser l’ensemble. »
Ce symbole de la garantie et du professionnalisme fait mouche. Et pendant des années, ce sigle simplissime, décliné par Rand sur tous les supports de la marque, va incarner à lui seul tout le secteur informatique. On comprend pourquoi IBM ne s’est jamais défait d’une identité aussi imparable et atemporelle. Pas plus que Westinghouse d’ailleurs, toujours fervent utilisateur de son logo. Rand concevait ses identités comme des blasons de famille, immuables, et de vraies armes de communication intelligente. On a rarement fait mieux.
Radical style
Au fil du parcours qui remonte à la première agence montée par Rand en 1935, alors qu’il n’est âgé que de vingt et un ans, l’exposition dresse les contours et les caractéristiques de la patte Rand. Une patte qui exècre le style et développe en réaction une sophistication par l’essentiel, motivée par la fonction. Du modernisme influencé par Paul Klee, l’école du Bauhaus et De Stijl, de l’expérimentation du cubisme et de la radicalité du Corbusier qu’il découvre dans des revues pendant sa formation, Rand retient la sobriété, une véritable aversion pour l’ornement et, bien sûr, pour tout maniérisme. Rand impose un paysage nouveau fait de géométrie rigoureuse, de papiers découpés, de typographies inspirées par les nouveautés venues de l’école allemande.
Ses compositions épurées et diablement efficaces détonnent dans le contexte américain de la presse et de la publicité. L’exposition chaumontaise fait découvrir cette phase moins connue de Rand, ce sens de l’analogie qui scelle des couvertures de magazines (Apparel Arts, Direction) et de nombreuses jaquettes de livres qu’il crée jusque dans les années 1950. La simplicité qu’il prône lui réclame un travail acharné, méticuleux et pénible qui rend ses jugements cinglants. Difficile de faire équipe avec ce Rand-là. Pourtant, dans l’agence Weintraub où il officie à partir de 1941, clients et collaborateurs essuient ses remarques brutales et sans appel, heureusement compensées par un génie créatif hors pair. Pour Dubonnet, il s’empare du personnage créé par Cassandre en 1933, silhouette rigide à chapeau melon avec laquelle il joue par un principe de découpages et de collages. Ses images, malgré leur ascétisme formel, brillent par leur humour et leur pertinence.
Ce sont ces qualités que l’on retrouve dans une autre activité de Paul Rand, celle d’illustrateur pour les livres d’enfants écrits par sa seconde femme, Ann. En 1956, leur première collaboration avec I know a lot of things est remarquable. Le trait enfantin des dessins s’allie magnifiquement aux aplats des papiers découpés colorés, et entraîne l’apprentissage de la lecture dans un ludisme peu courant à l’époque. Suivront Sparkle and spin, en 1957, avec sa couverture noire, impensable pour un livre d’enfant, puis les aventures attendrissantes du petit chiffre 1 en 1962. « Je considère, pour ma part, que je contribue à la qualité de la vie. » Un « randisme » qu’aucun des visiteurs de l’exposition ne pourra objecter.
1914 Naissance de Paul Rand à Brooklyn, à New York. 1929-1934 Fréquente l’Institut Pratt, la Parsons School of design et l’Art students league à New York. 1956 Création du logo de la firme informatique IBM, pour qui il travaille jusqu’en 1980. Il est également responsable des identités visuelles du groupe de radio-télévision ABC et de la société de portage UPS. 1956-1969 Professeur de design à l’université de Yale dans le Connecticut. 1972 Membre de l’Art director clubs de New York, association fondée en 1920 pour promouvoir le graphisme. 1996 le designer décède à Norwalk (Connecticut) à l’âge de 82 ans.
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Paul Rand
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « 18e Festival international des arts graphiques et de l’affiche de Chaumont », jusqu’au 24 juin 2007. Commissariat”‰: Pierre Bernard, Alex Jordan et Vincent Perrottet. Chaumont (52). Expositions ouvertes tous les jours de 14”‰h à 19”‰h. Entrée libre, tél. 03”‰25”‰03”‰86”‰80, www.ville-chaumont.fr rubrique « festival de l’affiche/programme ».
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : Paul Rand