Depuis une quinzaine d’années, les œuvres d’artistes in situ se sont multipliées en France. Sortant du musée ou du centre d’art, les créateurs s’aventurent hors des sentiers battus, mais avec la complicité de l’État, des collectivités publiques ou de sociétés d’économie mixte qui financent souvent les œuvres. De nombreux artistes ont ainsi été invités à intervenir lors de la réalisation de grands projets de transports urbains, à Paris, Rouen, Strasbourg ou Toulouse, et dans des lieux jusqu’ici désertés par la création : les parkings.
Le plus ancien réseau souterrain de France, le métro parisien, avait fait scandale au début du siècle en accueillant les œuvres d’Hector Guimard. Ainsi, la création n’a jamais été véritablement absente des transports de la capitale. Lorsqu’il fut décidé, en 1984, de rouvrir la station “Sorbonne” sur la ligne 10, Jack Lang, alors ministre de la Culture et de la Communication, a proposé à Jean Bazaine d’intervenir dans la gare. L’artiste, qui a toujours été attiré par l’art religieux, a d’emblée été enthousiasmé de pouvoir concevoir une œuvre plastique sous cette voûte qui n’est pas sans rappeler celle des cathédrales d’antan. Décidé à réaliser une mosaïque, il a conçu Ailes et Flammes qui réunit quarante-six signatures de rois de France, architectes, philosophes, hommes politiques, médecins, philosophes, poètes ou peintres. Sur la ligne 12, le changement de nom de la station “Chambre des députés” en “Assemblée nationale”, en 1990, s’est accompagné d’un concours remporté par Jean-Charles Blais. Ce dernier a respecté “l’esprit d’une station de métro”, en conservant les matériaux et une esthétique qui lui sont proches. Son œuvre est constituée d’affiches et d’écritures signalétiques. Sur les soixante-quinze mètres de la station court la phrase “Partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale”, tirée de “1789 l’Assemblé nationale” et choisie par l’artiste parce qu’elle “insiste sur l’esprit de l’institution autant que sur sa localisation”. De grandes figures de près de trois mètres de haut sont collées aux murs et se détachent alternativement sur du bleu, du rouge ou du jaune. La grande force de ce travail vient de son évolution régulière, les affiches étant changées régulièrement pour renouveler au cours de l’année l’atmosphère de la station. Celle-ci est rouge lors des sessions budgétaires, blanche hors session, et bleue, blanc, rouge lors de la Fête nationale. D’autres stations du métro parisien ont été confiées à des artistes, à l’image de la station “Concorde”, toujours sur la ligne 12, réalisée par Françoise Schein.
Si pour Éole, la prochaine ligne de RER de la SNCF, les architectes de la station “Condorcet”, près de la gare Saint-Lazare, n’ont prévu qu’une fontaine dans le hall Caumartin, la station de Cergy-le-Haut, sur la ligne A du RER, a été confiée en 1996 à Jean-Michel Alberola. Celui-ci a mis en scène, le long des treize arcatures murales qui bordent les quais de la gare, des images de monuments “connus de tous”, des pyramides de Gizeh en Égypte au Parthénon d’Athènes, de la Tour de Pise à la Statue de la Liberté à New York. Dédié au peintre Camille Pissarro, qui a travaillé dans la vallée de l’Oise à la fin du siècle dernier, Ceux qui attendent est composé de dix-sept images tirées de sites classés par l’Unesco au titre du “Patrimoine mondial”, tout en faisant référence aux charmants paysages en noir et blanc qui agrémentaient jadis chaque compartiment des wagons de la SNCF.
Inauguré en 1994, le tramway de Strasbourg a fait l’objet d’une expérience tout à fait originale. Un groupe de réflexion pluridisciplinaire, composé de conservateurs de musées, d’un philosophe et d’un historien, s’est en effet réuni en amont pour réfléchir sur les spécificités de la ville, son organisation urbaine, architecturale et sociologique. Ce comité d’experts avait pour but d’intégrer au maximum les différentes commandes artistiques associées à la construction du tramway. Il a ainsi procédé à des propositions d’ordre artistique et thématique pour les différents espaces de la ville que traverse le tram. Les interventions strasbourgeoises sont aujourd’hui d’une discrète évidence, puisque parfaitement intégrées à leur environnement. Seule œuvre monumentale, la Woman walking in the Sky de Jonathan Borofsky, une femme marchant sur un axe oblique qui monte à plus de 25 mètres de haut, demeure un signe nécessaire au milieu de hauts immeubles, devant le centre commercial des Halles. L’intervention de Gérard Collin-Thiébaut sur le verso des titres de transport n’est pas une première pour l’artiste. Il avait déjà reproduit, par exemple, l’Ascension du Christ du Pérugin, conservée au Musée des beaux-arts de Lyon, sur les tickets des horodateurs de la capitale des Gaules. À Strasbourg, l’artiste a sélectionné 135 images, parmi lesquelles des vues de rues de la capitale alsacienne. Dans la seule station souterraine située sous la gare SNCF, Barbara Kruger a inscrit onze phrases, souvent interrogatives, ainsi que deux sérigraphies sur papier intégrées aux panneaux publicitaires installés sur les quais. Enfin, dans des caissons étanches entre les voies, Mario Merz a installé la Suite de Fibonacci qui se déploie sur 1,3 kilomètre.
À Rouen, la question de l’intervention artistique a été abordée relativement tard, un an seulement avant l’ouverture du tramway au service commercial, en 1995.
Un parcours des arts
Pour l’ensemble du parcours, les deux artistes du groupe IFP,
Jean-François Brun et Dominique Pasqualini, ont défini le concept de “mâts génériques”, éléments identiques de quatre mètres de haut destinés à recevoir l’ensemble des interventions des artistes. Ainsi, Véronique Joumard a créé Vis-à-Vis, un groupe de miroirs montés à l’extrémité de ces mâts, placés à l’extrémité de deux quais. Olivier Mosset a quant à lui installé une étoile à cinq branches au sommet du mât, hommage à Marcel Duchamp, citoyen rouennais, qui apparaît avec une tonsure en forme d’étoile sur une célèbre photographie de Man Ray. Une demi-douzaine d’autres pièces, de David Nash, Denis Pondruel, Keith Sonnier ou François Perrodin, jalonnent le parcours du transport en commun.
Inauguré en 1992, le métro de Toulouse accueille un artiste dans chacune de ses quinze stations. De nombreuses tendances artistiques y sont représentées, de Jean-Paul Chambas aux Frères Di Rosa, de Takis à François Morellet, d’Olivier Debré à Jean-Louis Garnell. Felice Varini a ainsi exécuté, dans l’escalier d’entrée de la station “Jean Jaurès”, une peinture géométrique bi-dimensionnelle composée de deux cercles rouges qui se reconstituent visuellement à un point fixe de l’escalier. Cette politique de commande dans le métro de Toulouse est assez exemplaire, car elle propose un véritable parcours des arts dans la ville. Elle devrait se poursuivre pour la deuxième ligne, dont l’ouverture au public est prévu à l’horizon 2007.
Les transports en commun ne sont pas les seuls à présenter des œuvres sous terre. Depuis quelques années, certains entrepreneurs ou concessionnaires de parkings souterrains n’abordent plus ces constructions comme des “non-architectures”. À Lyon, par exemple, la société Lyon Parc Auto associe systématiquement un artiste aux architectes, dès la genèse des projets. Georges Verney-Carron, directeur d’Art/Entreprise, coordonne d’ailleurs à cet effet, depuis 1991, des équipes pluridisciplinaires. Les parkings deviennent ainsi des lieux de création in situ qui ne renoncent pas à leur statut d’œuvre d’art. Outre Daniel Buren au Parc Célestins ou François Morellet au Parc République, Michel Verjux a ainsi installé, en 1994-1995, treize projecteurs à découpe à iodure métallique dans différents espaces du Parc Croix-Rousse. Dror Endeweld, Matt Mullican ou Joseph Kosuth ont également créé des œuvres dans les parkings lyonnais. Dans des lieux semblables, l’artiste Jacqueline Dauriac a également conçu plusieurs éclairages et signalétiques qui jouent beaucoup avec des couleurs changeant suivant les étages. Ces minutes sont précieuses, s’écria l’enfant a ainsi été réalisée en 1994 dans le parking Drouet d’Erlon, à Reims, et Jaune pour aire de jeux, rose pour ballet, bleu pour comédie en 1996, dans le parking du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Felice Varini a lui aussi créé des pièces pour des parkings, notamment à la Villa Arson, à Nice, et à Vence. Espérons simplement que ces œuvres ne seront pas à l’avenir mises sur une voie de garage.
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Parkings, métros, tramways
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Parkings, métros, tramways