La Royal Academy of Arts de Londres tisse les liens entre peinture française et russe entre 1870 et 1925.
Un projet qui a bien failli être annulé par Moscou
LONDRES - Le suspense précédant l’ouverture officielle le 26 janvier de « From Russia : French and Russian master paintings 1870-1925 from Moscow and St. Petersburg », à la Royal Academy of Arts de Londres, était haletant. Quelques semaines encore avant son inauguration, les responsables de l’institution ne savaient pas si les autorités russes donneraient leur feu vert au prêt des cent vingt tableaux des quatre plus grands musées du pays : le Musée Pouchkine et la Galerie nationale Tretiakov de Moscou, le Musée de l’Ermitage et le Musée d’État russe de Saint-Pétersbourg. Contrairement à la France, les États-Unis, le Finlande, Monaco et l’Allemagne – où cette exposition a été présentée à Düsseldorf à l’automne –, la législation britannique ne prévoyait pas l’immunité judiciaire des œuvres d’art prêtées par un pays étranger. En ligne de mire, les chefs-d’œuvre d’art impressionniste et moderne français des collections Morozov et Chtchoukine, nationalisés de force par l’État russe en 1918, et pour lesquels les héritiers réclamaient encore récemment compensation (lire le JdA n°176 du 12 septembre 2003). Le Musée de l’Ermitage avait déjà annulé le prêt d’un Titien à la National Gallery à Londres, dans le cadre d’une rétrospective en 2003. Deux ans plus tard, l’épisode malheureux de la saisie par la société genevoise Noga de tableaux majeurs des collections du musée moscovite, alors prêtés à la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny en Suisse, a suffisamment échaudé la directrice du Musée Pouchkine. Dans un contexte diplomatique difficile entre les deux pays, les démêlés bureaucratiques entre le ministère de la Culture, des Médias et des Sports britannique et l’Agence fédérale pour les arts et la cinématographie russe ont finalement abouti à une nouvelle loi, promulguée fin décembre 2007, assurant l’immunité aux œuvres et la quiétude des responsables des musées russes.
Qu’en est-il de l’exposition ? Sans doute devrait-elle être qualifiée de trop gourmande. Réunir autant de chefs-d’œuvre pour démontrer l’influence et les échanges entre les peintres français et russes est une entreprise trop ambitieuse pour souffrir de raccourcis. Or, malgré des tableaux magistraux – La Danse de Matisse, La Promenade de Marc Chagall, Composition VII de Kandinsky... –, le parcours de l’exposition a des allures de cours accéléré. Des premiers échanges entre artistes français et russe dans les années 1870 à l’heure où l’aristocratie de Moscou et Saint-Pétersbourg parlait la langue de Voltaire, jusqu’au suprématisme de Malevitch, en passant par les époustouflantes collections Morozov et Chtchoukine, chaque chapitre abordé aurait mérité une exposition à part entière – comme l’avait fait le Musée d’Orsay, à Paris, en 2005, avec « L’Art russe dans la seconde moitié du XIXe siècle : en quête d’identité ». Ainsi la salle réservée au travail d’impresario d’artistes tenu par Sergei Diaghilev, figure incontournable de l’histoire de la danse, dévoile un pan méconnu de la carrière du directeur des Ballets russes. L’allusion faite à la différence de méthode entre les collectionneurs Ivan Morozov, toujours en quête de conseils, et Sergueï Chtchoukine, fonctionnant à l’instinct, renvoie aux collectionneurs russes actuels et à leur affluence sur le marché de l’art.
En 2006, la National Gallery of Art à Londres s’était prêtée à un exercice similaire, en décrivant l’influence de la peinture française sur les jeunes peintres américains venus à Paris pour faire leurs classes (lire le JdA n°234, 31 mars 2006). La Royal Academy peut au moins étayer son propos avec des œuvres originales au lieu de se contenter de les évoquer. Dans des toiles dans les styles de Picasso, Bonnard ou Cézanne, apparaissent des samovars, isbas enneigées ou tissus multicolores du folklore russe. Les paysages de Levitan sont confrontés à ceux de Daubigny et Corot. La Baignade de Picasso est environnée, de part et d’autre, de toiles cubistes de Vladimir Tatlin et le Portrait de Varvara Petrovna Vinogradova de Ilya Mashkov n’est autre qu’une réinterprétation maladroite de La Chambre rouge de Matisse. Quel soulagement de trouver, dans la dernière salle, consacrée à l’abstraction de Kandinsky et l’art minimaliste de Malevitch, ce que l’art russe a fait de mieux, sans copie, ni pastiche.
- FROM RUSSIA : FRENCH AND RUSSIAN MASTER PAINTINGS 1870-1925 FROM MOSCOW AND ST. PETERSBURG, jusqu’au 18 avril, Royal Academy of Arts, Burlington House, Piccadilly, Londres, Grande Bretagne, tél. 44 207 300 8000, tlj 10h-18h, vendredi 10h-22h, www.royalacademy.org.uk. Catalogue, Thames & Hudson, 320 p., 350 ill., ISBN 978-1-905711-15-4, disponible en version souple (24,5 livres sterling) ou cartonnée (40 livres sterling).
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Paris - Moscou - Saint-Pétersbourg
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Ann Dumas, commissaire indépendante ; Norman Rosenthal, responsable des expositions à la Royal Academy of Arts - Nombre d’œuvres : 120 œuvres répartis dans 9 salles p Mécène : E.ON
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°274 du 1 février 2008, avec le titre suivant : Paris - Moscou - Saint-Pétersbourg