Fondation

XXE-XXIE SIÈCLE

Paris fait l’éloge du MoMA

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2017 - 889 mots

PARIS

La Fondation Louis Vuitton retrace l’histoire des collections du Museum of Modern Art de New York à travers des prêts somptueux, en particulier en art moderne. Un hommage au caractère visionnaire de ses directeurs successifs.

Paris. L’exposition de la Fondation Louis Vuitton, « Être moderne : le MoMA à Paris », ne dispense pas de la visite du vénérable Museum of Modern Art de New York, mais elle donne une bonne idée de l’étendue de la collection. Toutefois, l’ambition de la manifestation ne se résume pas à la présentation de chefs-d’œuvre, elle est de montrer la manière dont ce musée américain a conçu l’idée de la modernité.

Cette ambition n’est pas innocente. Rares, en effet, sont les institutions qui jouissent d’un prestige suffisant pour se déclarer juges en matière de canons esthétiques. Dans le cas du MoMA, cette question s’est posée dès sa création avec le célèbre diagramme (1936) conçu par son premier directeur, le mythique Alfred. H. Barr. Ce dernier proposait un schéma qui, partant des précurseurs cubistes et fauves, aboutissait à l’abstraction. Cependant, un musée n’est pas un livre, et une collection, faite d’achats et de dons, fonctionne nécessairement selon des critères plus pragmatiques. Elle dépend ainsi de la présence des œuvres sur le marché, de l’enveloppe budgétaire ou encore des goûts du « board of trustees », lesquels sont les véritables décideurs de la politique muséale. Quentin Bajac, conservateur en chef de la photographie au MoMA et l’un des commissaires de l’exposition, rappelle que la spécificité des musées américains, dont les œuvres ne sont pas inaliénables, est la possibilité de se dessaisir de certaines d’entre elles afin d’en acquérir de nouvelles. Le matériel documentaire, issu des archives du MoMA, retrace cette histoire du Musée, y compris des « ratages » qui l’émaillent.
 

Des œuvres exceptionnelles

La première salle, au rez-de-chaussée, réunit des peintures exceptionnelles – relativement peu de sculptures, à l’exception notable de l’Oiseau dans l’espace de Brancusi. Ici, le caractère éclectique de la sélection tient à la curiosité des fondateurs et à leurs choix, parfois audacieux.

Dans cette première partie, on croise Le Baigneur de Cézanne (1855), considéré comme le père de la modernité, L’Atelier de Picasso (1927), Composition suprématiste : blanc sur blanc de Malevitch (1918) – un exploit étant donné la fragilité de cette toile – ou la série des trois États d’âme d’Umberto Boccioni (1911). L’énumération est incomplète, on oublie les Kirchner, Mondrian ou le triptyque magistral de Max Beckmann (Le Départ, 1932). Trône dans cette salle l’un des rares représentants de l’art américain : Edward Hopper, et sa Maison près de la voie ferrée (1925), l’une des toutes premières œuvres acquises par le musée.

Le visiteur remarque d’entrée la prégnance des toiles venues d’Europe ; il fallut la pression des artistes américains se sentant ignorés par le MoMA, mais aussi un lent changement des mentalités, pour que le musée se tournât vers l’art local.

Mais, et c’est indiscutablement le point fort de l’exposition, le MoMA instaure dès le départ une véritable pluridisciplinarité : design, architecture, affiche, photographie, cinéma sont largement présents dans les collections (y figure même un film de Walt Disney). Plus étonnant encore sont les vis, ressorts et roulements à billes des années 1930, exposés dans des vitrines, à l’égal des artefacts plus « nobles ». Situation impensable en Europe mais que la fierté ressentie par les Américains pour leur industrie rend possible. À preuve, l’exposition « Art Machine » programmée en 1934, qui a ouvert définitivement les portes au design.
 

Après guerre, New York centre du monde

La place de l’art américain change radicalement après la Seconde Guerre mondiale. L’Histoire a partie liée avec l’histoire de l’art ; l’hégémonie politique des États-Unis n’est pas étrangère à ce que l’on nommera l’« expressionnisme abstrait ». Désormais, New York devient le centre du monde. Non pas que ce succès soit immérité. La salle où sont alignées côte à côte toutes les vedettes des années 1950 est époustouflante. L’énergie graphique de Jackson Pollock, la séduction chromatique de Mark Rothko, la violence de Willem de Kooning, la puissance austère de Barnett Newman forment un ensemble exceptionnel. La vague se poursuit avec le pop art et le minimalisme, ces autres mouvements dont les représentants sont avant tout les enfants du pays. Curieusement, le choix offert, un peu maigre malgré la toile emblématique de Roy Lichtenstein (Drowning Girl, 1963), laisse sur sa faim. En revanche, l’ensemble de photographies de Cindy Sherman montre les innombrables facettes de cette femme-caméléon.

Puis, au fur et à mesure que les œuvres exposées sont plus récentes et que l’on monte dans les étages, on assiste à une véritable démonstration de la capacité du MoMA à se renouveler et à laisser la place aux scènes non occidentales, aux artistes femmes, aux prises de positions politiques et sociétales – avec les thèmes de la guerre du Vietnam, du sida –, ou encore à l’art afro-américain (David Hammons). Cette tendance montre l’esprit d’ouverture du musée, mais elle illustre également la présence bénéfique de créateurs inventifs qui, venus du monde entier, s’installent sur le sol américain. Le cheminement permet d’avoir un aperçu des performances, de la vidéo ou des arts numériques.

Terminons avec une installation de Janet Cardiff, Motet à quarante voix, une magnifique pièce sonore recréant un chant polyphonique du XVIe siècle. Le spectateur – ou l’écouteur –, immergé dans une œuvre qui s’étend dans l’espace, vit une expérience sensorielle unique.

 

 

Être moderne : le MoMA à Paris,
jusqu’au 5 mars 2018, Fondation Louis Vuitton, 8, rue du Mahatma-Gandhi, bois de Boulogne, 75116 Paris.
Légende Photo :
Vue de l'exposition « Être moderne : le MoMA à Paris », Fondation Louis Vuitton, Paris, avec au premier plan : Constantin Brancusi, Oiseau dans l’espace, 1928 ; en arrière-plan, de gauche à droite : Edward Hopper, House by the Railroad, 1925 ; Paul Cézanne, Le Baigneur, vers 1885 ; Paul Cézanne, Nature morte, vers 1895-1898.© Photo : Marc Domage/Fondation Louis Vuitton.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Paris fait l’éloge du MoMA

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