Art contemporain

XXE SIÈCLE

Paris, c’est l’Amérique

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2021 - 831 mots

NANTES

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux artistes américains, anciens G.I., sont revenus en France, attirés par l’effervescence artistique de sa capitale. Ce courant américain s’est épanoui dans l’abstraction lyrique et géométrique.

Nantes. Le titre, « United States of Abstractions », est intriguant. Discipliné, voire formaté par l’histoire de l’art canonique, on songe immédiatement à ces géants new-yorkais qui ont fait naître l’expressionnisme abstrait et, accessoirement, ont dépouillé Paris de son titre de « Capitale des arts ». Puis, le sous-titre, en lettres minuscules – sans doute involontairement – « Artistes américains en France, 1946-1964 », indique clairement la visée de la manifestation nantaise. L’exposition du Musée d’arts de Nantes, organisée en collaboration avec le Musée Fabre de Montpellier – les deux institutions appartiennent au Frame, une association de musées français, américains et canadiens –, met en scène les artistes américains qui ont séjourné à Paris durant cette période. Les importantes recherches effectuées pour ce projet, dont de nombreux documents sont présentés dans des vitrines, ont abouti au chiffre impressionnant de quatre cents artistes ; fort heureusement à Nantes, il n’y en a qu’une quarantaine. Cette situation est due avant tout à une loi, adoptée en 1944 par le Congrès des États-Unis, permettant aux soldats démobilisés de la Seconde Guerre mondiale, d’obtenir un financement pour leurs études universitaires. Attirés par l’Europe, et surtout par Paris, ces derniers s’y installent afin de poursuivre leurs activités artistiques.

Les commissaires, Sophie Lévy, directrice du lieu, Claire Lebossé, conservatrice à Nantes et Maud Marron-Wojewodzki, conservatrice à Montpellier, ont opté pour un panachage entre les célébrités – Joan Mitchell, Ellsworth Kelly, Jean-Paul Riopelle – et des artistes moins connus. À l’arrivée, peu de chefs-d’œuvre, mais de nombreuses découvertes, parfois très étonnantes.

Sous l’influence de la critique d’art

Le parcours, chronologique, comporte trois sections. La première, « Les autres de l’art brut, Michel Tapié et l’art américain », est consacrée au rôle déterminant joué par ce critique d’art dans la confrontation entre l’art américain et celui qui se pratique en Europe. Cependant, même si l’exposition inaugurale organisée par Tapié à la galerie Nina Dausset en 1951 a pour titre « Véhémences confrontées », il s’agit plutôt de rapprocher « une série d’œuvres abstraites en dehors des considérations nationales, mais autour des idées d’expressivité, de peinture gestuelle ou automatique abstraite » (extrait du catalogue de l’exposition). Si on y trouve des membres de la seconde École de Paris – Georges Mathieu, Hans Hartung ou Wols –, le mérite de Tapié est d’introduire des peintres issus de la côte ouest des États-Unis, Sam Francis ou Mark Tobey, auteur du magnifique White Space (1955).

Puis, le chapitre « Paris est une île » avance l’hypothèse que malgré les efforts de certains critiques d’art comme Georges Duthuit, les créateurs américains ne cherchent pas particulièrement à entrer en contact avec leurs confrères français. Tout laisse à penser qu’ils profitent avant tout de la liberté que leur offre une ville et un pays moins puritains et plus ouverts que leur patrie. En outre, ils semblent attirés davantage par l’art dans les musées que par les travaux plus contemporains ; Paul Jenkins découvre Gustave Moreau et Joan Mitchell s’inspire de Claude Monet. C’est d’ailleurs Mitchell qui occupe un espace important dans cette section avec des toiles imposantes, même si elles sont plus heurtées et moins fluides que les plus tardives (Composition, 1962, voir ill.). En revanche, l’œuvre de Sam Francis, The Whiteness of the Whale (1957), accrochée dans la même salle, est un parfait exemple du style singulier de cet artiste. Le blanc, situé au centre du tableau, est encadré par une gamme incandescente de couleurs projetées sur le bord. Un cas à part est celui de Beauford Delaney, peintre afro-américain, dont l’ami proche est l’écrivain James Baldwin. Sa peinture lumineuse, en quelque sorte une abstraction impressionniste, forme un univers à mi-chemin entre des rhizomes végétaux flottants et les reflets des nuages. Ce n’est pas une simple coïncidence s’il participe à l’exposition du groupe réuni autour du nuagisme en 1955.

Rigueur géométrique

La dernière partie de l’exposition, consacrée à la version géométrique de l’abstraction, rappelle que ce terme se décline au pluriel. Austère, cette tendance se refuse à la spontanéité et à l’expression lyrique. Les artistes conçoivent leurs œuvres selon les principes architecturaux, à l’aide de contours nets et précis, souvent à partir de modules répétitifs. Le titre de l’œuvre d’Ellsworth Kelly, Window, 1949 (plusieurs rectangles gris superposés, inspirés de la structure des fenêtres du Musée d’art moderne de Paris), est parlant. L’effet impersonnel recherché est accentué par l’importance accordée au hasard, dont les collages de Jean Arp, nommés justement « Suivant les lois du hasard », seront le modèle. Kelly, accompagné de deux autres peintres, Jack Youngerman et Ralph Coburn, rencontre d’ailleurs l’artiste dada dans son atelier de Meudon. Pour autant, il n’est pas certain que les artistes américains aient saisi la dose d’humour et de poésie, qui caractérise la production biomorphique d’Arp. Ce sont probablement les mobiles d’Alexander Calder, cet Américain qui réside en France depuis longtemps, qui en font ici la plus belle démonstration.

United States of Abstractions, Artistes américains en France, 1946-1964,
initialement jusqu’au 24 mai, Musée d’arts de Nantes, 10, rue Georges-Clémenceau, 44000 Nantes.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : Paris, c’est l’Amérique

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque