Si elles ont déjà été étudiées par maints historiens, les archives personnelles de Pablo Picasso n’avaient encore jamais fait l’objet d’une présentation publique dans leur globalité. Et pour cause :
riche de plusieurs dizaines de milliers de documents, cet ensemble de papiers, donnés à l’État par les héritiers de l’artiste, devait faire l’objet d’une sélection drastique pour être transformé en matériel d’exposition. Laurence Madeline, conservatrice au musée Picasso, s’est prêtée à ce fastidieux travail pour concevoir une exposition émouvante, où se bousculent, sur une multitude de fragments de papiers, anonymes et grands noms de l’histoire intellectuelle du XXe siècle.
Tout au long de sa vie, « le roi des chiffonniers », selon le mot de Cocteau, a fait preuve d’une boulimie conservatrice, accumulant lettres, billets en tout genre, minuscules croquis, agendas, cartons d’invitation ou paperasserie administrative, constituant jour après jour une masse encombrante et poussiéreuse, souvent inutile, mais transportée au gré des déménagements. Dans quel but ? Volonté biographique, superstition, conscience de la valeur du moindre bout de papier signé par le maître, refus de faire le tri. Les raisons sont multiples. Mais l’ensemble, et ses zones d’ombre, nous révèle la trace que Picasso a souhaité laisser après sa mort, à mille lieux des témoignages passionnés qui se sont multipliés ces dernières années.
De ce magma documentaire, Laurence Madeline a souhaité tirer un « portrait en creux », mettant l’accent sur la préoccupation constante du rapport à l’autre chez l’artiste. Homme public, Picasso est victime d’une notoriété écrasante qui se traduit par un flux épistolaire quotidien frénétique, inconnus ou anonymes lui adressant lettres fantasques, confessions intimes, déclarations grotesques et parfois violentes, photographies et requêtes en tout genre. Toutes ces missives, souvent annotées ou estampillées d’un ojo, signe graphique caricaturant un visage apposé après la lecture, ont été conservées parmi les papiers du maître.
Mais dans cette incroyable littérature épistolaire on croise surtout nombre d’artistes, écrivains, collectionneurs, marchands ou critiques d’art… Ainsi des lettres envoyées du front par Georges Braque, le « compagnon de cordée ».
Ou encore, parmi les nombreuses lettres des camarades du Parti communiste, la violente réaction d’Aragon après la publication en 1953 d’un impitoyable portrait de Staline : « Tu nous a foutus dans de beaux draps […]. Entre nous, nul n’ignore que tu dessines comme un cochon, mais véritablement, nous avoir servi ce croquis de Staline passe la mesure […]. Que tu gagnes ta vie dans les pots, d’accord, mais que tu viennes les casser sur la tête du parti, cela nous baille de l’inquiétude. » Cinquante ans plus tard cette lettre fait toujours grand bruit : le soir du vernissage, Pierre Daix et Jean Ristat (légataire universel d’Aragon) l’ont brutalement dénoncée comme canular – non avéré...
« On est ce que l’on garde ! Les archives Picasso », PARIS, musée Picasso, 5 rue de Thorigny, IIIe, jusqu’au 19 janvier, tél. 01 42 71 25 21, www.musee-picasso.fr Catalogue, éditions RMN, 352 p., 65 euros.
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Papiers en tout genre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°553 du 1 décembre 2003, avec le titre suivant : Papiers en tout genre