COLMART
Le Musée Unterlinden montre un pan inconnu de l’œuvre de l’artiste allemand, fasciné par le Retable d’Issenheim de Matthias Grünewald.
Colmar - Otto Dix (1891-1969) fut rarement montré en France. Cette situation, à elle seule, justifierait l’exposition qui se tient au Musée Unterlinden. Plus précisément, on connaît uniquement une partie de cette œuvre, profondément marquée par la guerre, dont le peintre laisse maints témoignages d’une vérité parfois à peine supportable. La guerre, mais également le climat politique, confus et violent, de l’Allemagne d’après l’armistice se voient représentés par le peintre allemand. Otto Dix a orchestré avec une incroyable puissance satirique tous les thèmes négatifs et morbides de ces années – les corps mutilés, les moignons hideux et des spectacles de déchéance physique – qui ont profondément marqué l’histoire allemande.
Toutefois, même si la manifestation ici n’élude pas ces représentations – le formidable et effrayant dessin du cycle La Guerre, 1924 – elle se concentre sur deux aspects moins connus de l’œuvre, l’un et l’autre en lien direct avec Colmar.
Le premier est la présence au musée d’un trésor mondialement reconnu : le Retable d’Issenheim peint par Matthias Grünewald qui, pour Otto Dix, est une source d’inspiration permanente, un modèle artistique inégalable. Certes, d’autres maîtres qui font partie de la tradition allemande – Cranach, Baldung – ne sont pas absents de son panthéon esthétique (voir le dessin du cadavre masculin allongé de 1912) mais, écrit le peintre: « Il m’est difficile de dépasser l’influence de Grünewald. » De fait, en toute logique, le peintre, expressionniste à ses débuts, ne peut pas rester indifférent à la puissance expressive du retable, aux convulsions douloureuses du Christ et à son corps couvert de boutons purulents. D’autant que pendant l’annexion de l’Alsace, cette œuvre est devenue une des icônes de l’art allemand. Ce n’est pas un simple hasard si la première monographie consacrée à Grünewald date de 1911. Transféré en 1917 à l’Alte Pinakothek de Munich, le retable devient accessible au grand public en 1918 même si, selon Frédérique Goerig-Hergott, commissaire de l’exposition, on ignore si Otto Dix a pu le voir à cette occasion.
Le parcours scrute attentivement le chef-d’œuvre et cherche à établir des liens avec les travaux de Dix, réunis ici. Les rapprochements, tantôt stylistiques, tantôt iconographiques, sont le plus souvent convaincants. Ainsi, on admet volontiers avec Goerig-Hergott que chez l’artiste : « les corps des victimes, martyres ou crucifiés, y sont démesurés, étirés, écartelés, couverts de plaies, et leurs mains sont griffues à l’image de celles des personnages tragiques du Retable d’Issenheim ». De même, on constate une familiarité étonnante entre l’attitude intimidée, presque apeurée, de la Vierge de Grünewald et de celle de Dix dans une très étrange Annonciation de 1950.
Plus discutable est la volonté de voir dans les sujets religieux qui reviennent chez l’artiste – saint Christophe ou la tentation de saint Antoine – l’influence directe de son illustre ancêtre. Ne s’agirait-il pas plutôt de l’importance des thèmes religieux dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres ?
Les traumas de la guerre
L’autre aspect qui relie Dix à Colmar est sa présence – bien involontaire – dans cette ville. Enrôlé dans l’armée en 1945, il est fait prisonnier et reste incarcéré dans un camp situé dans le quartier du Logelbach à Colmar. Par chance, reconnu par un officier français, il bénéficie d’un traitement particulier qui lui permet de pratiquer sa peinture. C’est d’ailleurs pendant cette détention que Dix a l’occasion d’admirer le retable, réinstallé au Musée Unterlinden en juillet 1945. De retour chez lui, marqué par le traumatisme de la guerre mais aussi l’humiliation du camp, le peintre réalise des travaux dont le style est d’une liberté impressionnante. On est bien loin de la Nouvelle objectivité, cette forme de néoclassicisme, apparue sur la scène allemande au début des années 1920 et à laquelle on associe l’artiste. Il suffit de comparer le fameux Portrait de la journaliste Sylvia von Harden (1926), lisse et précis, à Ecce Homo II avec autoportrait derrière des barbelés (1948) pour constater l’extrême modernité de ce dernier. Le traitement gestuel, l’espace déséquilibré, les déformations expressives, font songer aux œuvres du groupe CoBrA qui datent d’ailleurs de la même époque. Même si toutes les œuvres ne sont pas de la même qualité, une représentation comme Flagellation du Christ II (1948), est stupéfiante par sa violence inouïe. Recyclé, le sujet religieux, ce symbole anhistorique, devient ici un support puissant pour dénoncer d’autres crimes humains.
En réalité, peu importe si Dix s’inspire ou non de l’image de Grünewald. L’essentiel est que, l’un et l’autre, à leur façon, font redescendre le sacré sur terre.
Commissaire : Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef, chargée des collections d’art moderne et contemporain.
Œuvres : 100
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Otto Dix sous l’emprise de Grünewald
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 30 janvier 2017, Musée Unterlinden, Place Unterlinden, 68000 Colmar, tél 03 89 20 15 51, mercredi-lundi 10-18 h, nocturne jeudi 10-20 h, , www.musee-unterlinden.com, entrée 13 €. Catalogue éditions Hazan, 264 p., 35 €
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°468 du 25 novembre 2016, avec le titre suivant : Otto Dix sous l’emprise de Grünewald