L’exposition \"Le Front populaire et l’art moderne\" au Musée des beaux-arts d’Orléans retrace, à travers la personnalité de Jean Zay, la politique d’acquisition du Front populaire. Cent cinquante-quatre peintures, dessins et sculptures illustrent l’ouverture relative des collections publiques à l’Abstraction et au Surréalisme.
ORLÉANS - Jusqu’en 1936, les musées nationaux consacrés à l’art dit "moderne" ne possèdent aucune œuvre cubiste, abstraite ou surréaliste. La nomination d’un ministre de trente-deux ans, Jean Zay, à la tête d’un grand ministère réunissant l’Éducation nationale et les Beaux-arts, va permettre au gouvernement du Front populaire de remédier à une partie de ces insuffisances en complétant les collections du Musée du Luxembourg et du Musée des Écoles étrangères, et en créant, dès 1937, le futur Musée national d’art moderne (Mnam), qui sera inauguré dix ans plus tard.
Guidé par les précieux conseils de Jean Cassou (le futur conservateur du Mnam, auquel la Bibliothèque nationale consacre une exposition jusqu’au 18 juin) et de Georges Huisman, directeur général des Beaux-arts, le jeune Orléanais, assassiné par la Milice en 1944, va donner une impulsion sans précédent à la politique d’acquisition et de commande du Front populaire. Entre 1936 et 1939, plus de 3 500 œuvres destinées aux collections nationales – mais aussi à l’ornementation des préfectures, des ambassades… – ont été acquises, alors que, dans les meilleures années, le Musée du Luxembourg n’achetait qu’une cinquantaine d’œuvres.
Les cubistes déjà trop chers
Non seulement les budgets sont plus importants à partir de 1936, mais certains artistes – comme Léger, Marquet, Derain, Vlaminck, Survage… – font des efforts importants pour faciliter l’achat de leurs tableaux par l’État. La première salle de l’exposition illustre les résultats de cette nouvelle politique d’acquisition, en réunissant "indépendants" (Friesz, Dufy, Pascin, Van Dongen, Valadon, Despiau…) et artistes "d’avant-garde" : le Front populaire voit l’entrée des premières œuvres surréalistes dans les collections publiques (Tanguy, De Chirico…), et un certain nombre d’achats reflètent ses timides tentatives en direction de l’Abstraction (Hommage aux peuples de couleur de Freundlich, Réalité spirituelle de Herbin…).
Cependant, Picasso – et la peinture cubiste en général – sont déjà hors de prix, et leur absence constitue "une des grandes lacunes de la politique d’achat", comme le souligne Éric Moinet, commissaire de l’exposition et conservateur des Musées d’Orléans.
Pour les mêmes raisons, une seule toile de Matisse sera achetée pendant le Front populaire. À l’opposé, "il y a déjà, à l’époque, des peintres qui sont littéralement portés, par certaines galeries et par des revues comme Art et Décoration" rappelle Éric Moinet. Ces phénomènes de mode entraîneront des achats massifs dont l’exposition rend compte. Un souci d’exhaustivité discutable, même si des toiles de Maire ou de Waroquier sont autant de témoignages qui révèlent, à leur manière, les goûts d’une génération de responsables culturels.
L’engagement politique du Front populaire
Les préoccupations sociales et politiques du Front populaire apparaissent dans la seconde partie de l’exposition. Sous l’influence du muralisme mexicain et en relation avec l’Exposition internationale des arts et des techniques de 1937, l’Art mural est au centre d’une réflexion, illustrée notamment par des esquisses de Delaunay, Lhote, Gromaire, etc. "Mais en France, remarque Éric Moinet, l’Art mural n’est pas directement porteur de discours politique. Il est avant tout une réflexion autour de l’art décoratif monumental, qui avait pratiquement disparu depuis Puvis de Chavannes".
Après une salle consacrée à la "Querelle du Réalisme", orchestrée par Aragon, où l’on remarquera Deux noirs à Marseille de Franz Masereel, un peintre belge aujourd’hui oublié, l’exposition s’achève avec le rappel de l’engagement de Jean Zay et de ses collaborateurs durant la guerre d’Espagne : toute une série d’œuvres seront achetées à des artistes républicains exilés en France (Bueno, Solana…). Au centre de la salle, Le grand prophète de Gargallo annonce le destin de l’Europe tout entière tandis qu’aux murs, Espagne d’Edmond Kuss dénonce les atrocités de la guerre civile.
Malgré cela, observe Eric Moinet, "à l’exception de certaines œuvres, comme La Veillée de Pignon, les acquisitions du Front populaire n’auront pas été liées outre mesure au contexte politique, pourtant très présent : aucun tableau de Fougeron, l’un des tenants du Réalisme socialiste à la française, ne sera acheté."
"Le Front populaire et l’art moderne, hommage à Jean Zay", Musée des beaux-arts d’Orléans, jusqu’au 31 mai, ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 12h et de 14h à 18h.
Catalogue, sous la direction d’Éric Moinet, 220 p., 100 photos en N&B, 60 photos coul., 170 F (en cours).
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Orléans - L’art moderne relève le Front
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Orléans - L’art moderne relève le Front