Peu considérés, les arts et les arts décoratifs sont pourtant d’une richesse inouïe à cette époque. Ils se nourrissent d’une multiplication de foyers créatifs que favorise l’absence d’un lieu de cour central.
Dans une histoire de l’art qui fonctionne traditionnellement par grands découpages chronologiques, et par oppositions stylistiques abruptes et simplificatrices, les périodes de transition ont longtemps eu mauvaise presse. Le XVe siècle est ainsi de ces époques mal aimées car coincées entre deux âges d’or. Celui que l’on désigne parfois comme le bas Moyen Âge, succède ainsi au brillant Moyen Âge classique mais surtout a le malheur d’anticiper de quelques décennies la Renaissance – bouleversement perçu comme une nouvelle civilisation propulsant l’Occident vers les Temps Modernes. Or ces scissions sont, on le sait, caricaturales et leurs bornes temporelles souvent arbitraires. Ainsi depuis quelques années, nombre de publications ou d’expositions remettent en question cette scansion et réévaluent ce gothique tardif jadis déprécié. Loin de marquer le début d’une dégénérescence artistique, l’an 1400 est ainsi appréhendé comme un point de bascule.La période coïncide en effet avec l’émergence d’un pré-humanisme et un intérêt nouveau pour le réalisme. Cet élan, freiné par la défaite d’Azincourt en 1415, reprend fortement à la fin de la guerre de Cent Ans, favorisant l’éclosion d’une multitude de foyers artistiques aux quatre coins du Royaume et à ses confins. Car s’il est une caractéristique qui définit le mieux les arts sous Charles VII (1420-1460) c’est l’absence de centralisation. La cour est itinérante et Paris délaissé par le pouvoir. Une singularité qui explique également le peu d’intérêt que les savants ont porté à cette période, pourtant d’une exubérante richesse et inventivité.
En raison des conflits, les territoires sous obédience royale représentent un patchwork en constante évolution. Une situation qui contraint les artistes et les œuvres à circuler à la recherche d’un contexte favorable à l’essor économique. Les foyers épargnés par la guerre, comme le Grand Ouest par exemple, sont un terreau fertile à l’ouverture de vastes chantiers. Plus largement, la grande diversité des foyers – parisien, breton, provençal, bourbonnais, normandais, tourangeau – suscite une cohabitation des styles hétéroclites.Ces expressions sont le fruit du métissage entre une esthétique locale et des influences croisées entre l’art italien et la peinture flamande. Le règne de Charles VII apparaît ainsi comme une période de raffinement et d’effervescence perceptibles dans tous les secteurs. À l’exception notable de la peinture sur panneau, un genre moins plébiscité.L’art majeur demeure l’enluminure ; le livre occupant alors un rôle primordial en tant qu’outil culturel autant que politique. L’époque est aussi friande d’arts décoratifs et somptuaires. Elle marque ainsi un renouveau dans la production de luxueuses tapisseries ainsi que d’orfèvrerie. Ce goût ostentatoire pour l’apparat est là encore un message politique : les commandes artistiques d’envergure étant un moyen de célébrer la pacification, la reconquête du royaume mais aussi de rebâtir la légitimité du pouvoir royal.
Le XVe siècle marque un tournant dans la représentation réaliste des sentiments, notamment toute la palette de la souffrance. Le thème de la pietà connaît un essor considérable puisqu’il permet d’appréhender la religion par le prisme des émotions et une représentation intimiste de la douleur.
Avec cette peinture, Jean Fouquet (vers 1420-vers 1480) invente une toute nouvelle manière de représenter le souverain. L’effigie frappe en effet par sa monumentalité inédite et par la forte géométrisation de ses volumes. Le cadrage presque frontal est également novateur tout comme l’individualisation des traits du visage.
Manifeste artistique de la reconquête du pouvoir de Charles VII, cette tapisserie est un condensé de symboles. Le jardin clos désigne la France tandis que les cerfs ailés, dits volants, sont l’emblème de la monarchie. À l’inverse, les lions archaïques et menaçants incarnent les Anglais.
Aujourd’hui démembré, ce triptyque est considéré comme l’un des plus importants réalisés à Paris au XVe siècle. Commandé par Dreux Budé, un proche du roi, il témoigne de la forte influence de la peinture flamande. Les plis marqués et les corps graciles évoquent en effet l’art de Van der Weyden.
Affublé d’une image austère, Charles VII a pourtant été un grand amoureux. Sa passion pour Agnès Sorel a même institué le statut inédit de favorite officielle du roi de France. Après son trépas, la dame de cœur a reçu des honneurs dignes d’une reine et a été inhumée dans un tombeau royal. Le gisant, trop fagile, ne sera finalement pas présenté au Musée de Cluny.
L’immense peintre Jean Fouquet n’a pas signé que des tableaux mais aussi des enluminures, dont l’extraordinaire livre d’heures qu’il a réalisé entre 1452 et 1460 pour Étienne Chevalier, trésorier de France sous le règne de Charles VII. L’artiste s’y affranchit de l’organisation traditionnelle de la page pour composer une série de quarante tableaux sur parchemin.
Icône du Musée de Cluny, ce vitrail incarne l’importance du jeu à cette époque mais aussi sa polysémie ; car il ne s’agit pas que d’une partie d’échecs : c’est aussi le grand jeu de l’amour. L’homme victorieux s’empare en effet d’une dame, tandis que la jeune femme tempère aussitôt les ardeurs de son adversaire par un geste de la main.
Une multitude de styles cohabitent au XVe siècle. En marge de la tendance à l’idéalisation, ou à l’expressivité, s’affirme ainsi une veine résolument réaliste. Les personnages peints par le Maître des Heures Collins livrent un témoignage fidèle du costume de ses contemporains et de leur mode de vie.
Seul vestige d’un dais médiéval, cette tapisserie est un témoignage artistique et politique exceptionnel. Quand Charles VII trônait, deux anges somptueux semblaient descendre du ciel pour le couronner, revendiquant par l’image sa légitimité divine. Il se présente aussi comme un roi-soleil victorieux.
Il faut une loupe pour apprécier la finesse des détails de ce camée représentant une Vierge de douleur inspirée d’une enluminure du Flamand Barthélemy d’Eyck. La précision est impressionnante car son auteur est parvenu à représenter un grain de beauté et à suggérer les drapés du voile de la mater dolorosa.
Ce siècle d’un raffinement et d’un luxe inouïs a engendré quelques trésors d’une préciosité stupéfiante ; à l’image de ce rarissime exemple de peinture à l’aiguille. Mettant en œuvre des techniques complexes et des matériaux précieux, cette pièce faisait partie d’un ensemble d’ornements liturgiques.
Dans cette période troublée où les alliances se font et se défont à toute allure, il est de bon ton de manifester son allégeance à son camp politique. Les partisans des Armagnacs arborent ainsi, à la manière d’un pin’s, un emblème de cétacé stylisé aux nageoires et queue dentelées qui incarne le Dauphin.
Le XVe siècle détonne par la diversité de ses foyers artistiques. Actif à Troyes puis à Angers, le peintre anonyme désigné comme le Maître de Rohan propose un style très original, caractérisé par son expressivité et un sens du pathos revendiqué. Ses compositions macabres se démarquent aussi par leur palette pastel.
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Objets précieux du règne de Charles VII
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°774 du 1 avril 2024, avec le titre suivant : Objets précieux du règne de Charles VII