Rattachée au royaume de France en 1204,
la Normandie connaît une période prospère tout au long du XIIIe siècle, générant
de meilleures conditions de vie dont témoigne la création d’objets usuels variés. Certains de ces vestiges, redécouverts au cours des dernières décennies et aujourd’hui exposés au Musée de Caen, dévoilent la vie quotidienne des hommes
du bas Moyen Âge.
CAEN - Le quotidien des hommes et des femmes du Moyen Âge est longtemps resté une énigme, l’archéologie médiévale se limitant à l’étude des châteaux et cathédrales. Depuis quelques décennies, investigations, expositions et publications se multiplient pour tenter de comprendre la société d’une époque considérée, à tort, comme obscure et barbare. L’année dernière, six musées d’Île-de-France s’étaient déjà associés pour rendre compte de l’intimité des maisons paysannes et citadines de nos ancêtres, confrontant les sources écrites et iconographiques déjà connues aux fruits de la recherche archéologique (lire le JdA n° 124, 30 mars 2001). À Caen, les fouilles ont débuté dans le château ducal dès 1955 et se sont poursuivies dans la ville, sans interruption, jusqu’au milieu des années 1990. À partir des années 1980, les méthodes de recherche élaborées à Caen par les élèves de Michel de Boüard, l’un des premiers archéologues à travailler sur le sujet, ont été appliquées à Rouen et en Normandie orientale, où les fouilles ont livré des centaines d’objets, aujourd’hui exposés en partie au Musée de Normandie. Des serrures de coffrets (XIVe siècle), des bougeoirs en bronze (XIIIe-XVe siècles), des pavés estampés à décor de poisson en terre cuite, des marmites (XIIIe-XVe siècles), des lèchefrites – grands plats recouverts d’une glaçure imperméabilisée – en terre cuite vernissée (XVe siècle) ou encore des enseignes profanes représentant un coq, une main de justice ou un phallus (XVe siècle) nous renseignent sur les usages, les goûts et les techniques de la société normande au bas Moyen Âge. Des sources qu’il faut manier avec une extrême prudence. “Le mobilier archéologique est globalement trop rare pour ne présenter autre chose qu’une sélection aléatoire, un échantillonnage incertain d’une réalité qu’il n’est pas difficile d’imaginer plus complexe, précise dans le catalogue Claude Lorren, professeur d’histoire et d’archéologie médiévale à l’université de Caen. La diversité des cas concrets montre qu’ils ne valent la plupart du temps que pour eux-mêmes.”
Si ton nez est morveux, ne le torche de la main nue
Mis en scène sur une table dressée, les ustensiles évoquent la richesse de formes – poêlons, écumoires, entonnoirs, faisselles, pichets ou chopes, tasses polylobées, coupes, bassins – et de décors de la vaisselle médiévale, tandis que les assiettes en bois, trouvées à Rouen et datant du XIIIe siècle, témoignent de l’évolution des habitudes alimentaires. Même si certains paysans les utilisaient également, les cruches et pichets décorés ont longtemps été qualifiés “de luxe” parce que mis au jour sur des sites aristocratiques. La verrerie, en revanche, semblait exclusivement réservée à la seigneurie. Le catalogue de l’exposition renferme différentes recettes de cuisine médiévales et explique quelles étaient les méthodes employées pour préparer les aliments, cuire le gibier ou le poisson à l’occasion de grands repas festifs. Les recherches nous révèlent une cuisine délicate, faite de plats parfumés d’aromates, d’épices, et dont les aliments sont associés les uns aux autres pour le plaisir des yeux avant tout, en jouant sur l’association des couleurs de différents mets. Richement illustrée, la parution comprend aussi des extraits des Contenances de table, véritable guide du savoir-vivre paru au XVe siècle, dans lequel il est rappelé quelques règles de bienséance : “Ce t’est chose honteuse / Si tu as serviette ou drap / De boire dans un hanap / Avec la bouche sale et baveuse [...] / Si ton nez est morveux / Ne le torche de la main nue / De quoi la viande est tenue / Le fait est vilain et honteux."
- VIVRE EN NORMANDIE AU MOYEN ÂGE, jusqu’au 18 novembre, Musée de Normandie, Château, 14000 Caen, tél. 02 31 30 47 60, tlj sauf mardi, 9h30-18h. L’exposition sera ensuite présentée à Toulouse (en décembre) et Évreux (en mai 2003). Catalogue, 5 continents Éditions, 317 p., 230 ill. coul., 40 euros.
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Nos ancêtres les Normands
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°154 du 13 septembre 2002, avec le titre suivant : Nos ancêtres les Normands