Photographie

Noémie Goudal : « L’idée de construire une image est essentielle »

Les images d’architectures ambiguës et non retouchées de Noémie Goudal au BAL déconcertent

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2016 - 716 mots

Au BAL, à Paris, Noémie Goudal crée le trouble avec des images d’architectures indatables et entièrement construites, mais sans manipulation informatique.

Vous exposez notamment trois grandes photographies montées sur panneaux, qui sont des collages d’images d’architecture qui s’intègrent dans un autre édifice (In Search of the First Line II, III, IV, 2014). S’agit-il de repenser l’élaboration d’une image à travers la complexité du motif ?
Il s’agissait surtout de voir les différentes couches d’une architecture, une construction faite de différents niveaux. L’on voit souvent des édifices anciens mêlant différentes époques, comme le roman et le gothique par exemple ; j’ai souhaité travailler sur des lieux qui sont un entre-deux, c’est-à-dire que vides, sans les bâtiments que j’y intègre, elles semblent attendre quelque chose, qu’on les manipule. Et ce qui m’intéresse dans ces lieux, c’est de voir comment je peux intervenir avec d’autres éléments architecturaux afin de reconstruire des perspectives à l’intérieur d’une architecture déjà existante. Tout mon travail est sensible à ces différentes strates, car l’image est plate évidemment, mais avec la construction de ces couches, l’œil voit finalement de la 3D et peut aussi se projeter.

Vous parlez d’image plate, mais chez vous elle ne l’est jamais car il y a toujours des effets de pliures ou de textures. Ces artifices sont-ils là pour donner un caractère d’étrangeté à l’image ?
Dans toutes les images que je fabrique il est pour moi très important de laisser les fissures dans le papier, les fils, le scotch, etc., car cela permet de montrer la construction et quelque part de rendre le spectateur complice également. Car à partir du moment où il va voir que c’est construit comme un décor, il va y prendre part plus facilement. Cela permet à chacun de questionner son propre point de vue par rapport à une image et de décider de s’immiscer à l’intérieur ou de rester à l’extérieur en se disant « non c’est du papier et je ne vais pas plus loin que la surface. »

Comment fabriquez-vous ces images ?
Chaque série commence par de longues recherches en bibliothèque, lors de voyages, etc. Pour les In Search… j’ai voyagé en France et visité beaucoup d’abbayes, de cloîtres, de bâtiments ayant une architecture très sobre. Ensuite j’ai fabriqué à l’atelier des images en papier contrecollées sur carton et posées sur châssis, car elles mesurent 4 mètres de haut. Puis je les ai véritablement intégrées dans le lieu qui [les accueille dans l’image et] se trouve à Londres. Les images doivent être très grandes pour rentrer dans l’espace, sinon on n’y croit pas.

Vous faites donc une construction vous-même. L’idée de construire une image au sens propre du terme est pour vous essentielle ?
Oui absolument, car je n’utilise ni Photoshop ni montage. Je construis une installation que je photographie par la suite. Finalement il n’est pas essentiel pour moi de parler de photographie, car elle n’est qu’un outil qui arrive à la fin de mon processus, je ne suis pas du tout accrochée à mon appareil. Et il s’agit donc effectivement de la construction d’une image. Toutes les étapes préparatoires sont pour moi plus importantes, même si évidemment le travail se présente sous forme de photographies.

Diriez-vous que, pour vous, l’ambiguïté est une contingence essentielle ou importante de l’image ?
Oui, l’ambiguïté, le trouble, c’est ça qui m’intéresse. Ce qu’il y a de particulier avec la photographie c’est qu’en général on vous demande toujours « où c’est, quand c’est ? » Je trouve assez intéressant ce rapport des gens à la photo, même si bizarrement ce n’est pas ce qui me préoccupe quand je la crée. Je vais là où il est possible d’aller, pour des raisons techniques souvent, parce qu’à tel endroit il y a plus ou moins de vent, etc. Pour la série des Observatoires (2013-2014) [des images d’édifices brutalistes insérées dans des étendues d’eau], c’étaient des lieux isolés où l’on perd la notion d’échelle qui m’intéressaient. Quand je construis ces bâtiments, ils mesurent entre 1,50 m et 1,80 m. Pour que l’on puisse se questionner sur leur nature, il a fallu faire les prises de vue en l’absence de vent, afin qu’il n’y ait pas de clapotis sur l’eau. J’ai travaillé sur des bassins en bord de mer, au moment où ils étaient remplis et que la marée commençait à descendre, c’est ce qui m’a permis d’avoir ces étendues extrêmement plates.

NOÉMIE GOUDAL. CINQUIÈME CORPS

Jusqu’au 8 mai, Le BAL, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, tél. 01 44 70 75 50, www.le-bal.fr, tlj sauf lundi-mardi 12h-20h, jeudi 12h-22h, samedi 11h-20h, dimanche 11h-19h, entrée 6 €.

Légende photo
Noémie Goudal, Observatoire IX, 2014. © Noémie Goudal, courtesy Galerie Les filles du calvaire et Galerie Edel Assanti.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°452 du 4 mars 2016, avec le titre suivant : Noémie Goudal : « L’idée de construire une image est essentielle »

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