Qu’est-il arrivé à Nicolas Schöffer, créateur phare des années 1960 et 1970, plébiscité par la presse et entouré de collaborateurs aussi prestigieux que Maurice Béjart, Pierre Henry ou Claude Parent, pour tomber dans l’oubli relatif où il est aujourd’hui ? Sans doute son œuvre a-t-il pâti de son appareillage technologique – avec ce qu’il en résulte d’obsolescence, mais aussi de défi en matière de restauration.
Si le Consortium à Dijon, l’espace Electra et l’exposition « Dynamo » à Paris avaient déjà tenté de réhabiliter l’artiste, c’est au Lam qu’il revient, sous la houlette d’Arnauld Pierre, d’opérer ce qui pourrait bien être un retour en grâce, au gré d’une « rétrosprospective » impeccable de bout en bout. Le musée n’était pas a priori le lieu où l’on pensait voir ressurgir Schöffer. Pourtant, le parti pris de l’exposer là est justifié, dès la première salle, par une série d’œuvres marquant ses liens avec le surréalisme et la peinture médiumnique de Fleury Joseph Crépin, que le Hongrois découvre peu après son arrivée en France en 1936. Pour le coup, la référence n’est pas seulement opportuniste : de l’automatisme comme voie d’accès au psychisme à l’automate comme moyen d’opérer la synthèse entre tous les arts, l’exposition montre qu’il n’y a qu’un pas. Ce pas, Nicolas Schöffer le franchit par degrés, d’abord en peignant au pistolet et au pendule, puis en s’orientant dès les années 1950 vers ce qu’il appellera la sculpture « spatiodynamique ». Définie comme « l’intégration constructive et dynamique de l’espace dans l’œuvre plastique », celle-ci conduit l’artiste à l’architecture et à l’urbanisme : ses plans et maquettes de ville spatiodynamique, très empreints du fonctionnalisme, puis ses tours cybernétiques, occupent plusieurs sections de la rétrospective. Surtout, la sculpture spatiodynamique l’amène à nouer des contacts avec le monde industriel – dont Philips. De ces collaborations naîtront CYSP-1, le « robot danseur », les « dream machines » et les théâtres d’ombre créés à grand renfort de mécanismes, de rotors, de prismes, d’éclairages. Hypnotiques, les salles où se déploie ce « cinéma sans caméra » offrent d’embrasser de manière sensible et immédiate l’ambition de Schöffer : celle d’une œuvre spectacle, à la confluence de la sculpture, de la musique, du cinéma et de la danse. Une ambition bien plus vaste, en somme, qu’une simple aventure technologique, à laquelle l’actualité donne du reste des accents visionnaires…
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Nicolas Schöffer, visionnaire oublié