Nauman dans le labyrinthe

Une quarantaine d’œuvres au Centre Pompidou

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 1998 - 621 mots

La vidéo est peu à peu devenue l’un des outils privilégiés de Bruce Nauman. Sans négliger les autres aspects de l’œuvre, l’exposition présentée au Centre Pompidou met à juste titre l’accent sur les images en mouvement et leur articulation au langage.

PARIS - La rétrospective qui s’était tenue en 1986 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris avait permis de découvrir dans son ensemble une œuvre qui dépasse, avec désinvolture, les catégories établies de l’art contemporain. Depuis celle qui a été présentée successivement en Amérique du Nord et en Europe en 1994 et 1995, accompagnée par la publication d’un catalogue raisonné, Bruce Nauman est au sommet de la reconnaissance internationale, en même temps que son influence n’a cessé de croître auprès des dernières générations d’artistes. L’exposition du Centre Georges Pompidou, concoctée par plusieurs musées européens, est ainsi celle d’un artiste qui n’a certainement rien à prouver, ni du point de vue de l’inventivité ni de celui de la rigueur.

Du grotesque au tragique et retour
L’exposition inclut aussi bien des néons et des sculptures que des dessins, mais Christine Van Assche, conservateur au Mnam, a choisi de présenter surtout les installations vidéo. On retrouve ici l’une des plus marquantes, Violent Incident (1986) : le “scénario” est on ne peut plus dérisoire (un personnage retire au dernier moment la chaise qu’il présente à son comparse), mais le dispositif d’interprétation et de projection simultanée rend l’installation à la fois complexe et extrêmement précise dans son développement. On retrouve cette même qualité dans de nombreuses œuvres : le grotesque est pris en tenaille par une mise en scène implacable qui bannit toute gratuité et métamorphose la dérision en tragédie.

Mais Nauman sait jouer de tous les registres et inverser leurs apparitions au moment où on s’y attend le moins. Dans l’un de ses travaux les plus récents, World Piece (1996), des acteurs, dont certains sont muets, déclinent inlassablement les verbes “parler” et “écouter”. Leurs expressions sont graves, comme s’ils comparaissaient devant un tribunal, comme s’ils révélaient des informations capitales. Ce qui est en jeu ici, sur le mode obsessionnel, c’est beaucoup moins la difficulté à communiquer que l’antagonisme de la parole et du corps, qui était déjà, avec le même type de décalage, au cœur de l’installation Good boy, bad boy (1985).

Pendant un certain temps, Nauman a fait appel à des acteurs professionnels, choisis en fonction de leurs spécialités et très souvent dirigés à contre-emploi. À plusieurs reprises pourtant, l’artiste s’est lui-même mis en scène dans ses premiers films, en particulier la série Art Make-Up (1967-68) et dans Raw material - OK, OK, OK (1990). Son visage y reste singulièrement impassible, comme saisi par un indicible effroi, et confère aux installations la force d’une étrange violence contenue. Loin de trahir une préoccupation narcissique, ces œuvres rendent au contraire d’autant plus sensible la dimension impersonnelle et universelle des questions traitées.

Il semble qu’il n’en ait négligée aucune, comme s’il avait dressé un inventaire exhaustif des troubles de l’âme et du corps humain. Inventaire chaotique, toutefois, sans début ni fin, et où l’on risque à tout moment de se perdre. L’architecture de l’exposition prend au pied de la lettre cet aspect labyrinthique de l’œuvre, sensible à la fois dans ses thèmes, ses tonalités et dans l’usage des techniques.
L’espace malheureusement exigu de la galerie Sud, provisoirement épargnée par les travaux, ne ménage pas assez de ces espaces où le visiteur égaré pourrait reprendre souffle ou simplement du recul. Mais après tout, s’il est évidemment jubilatoire, l’art de Bruce Nauman s’impose aussi comme une épreuve du corps.

BRUCE NAUMAN, IMAGE / TEXTE, 1966-1996, jusqu’au 9 mars, Centre Georges Pompidou, Galerie Sud, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 12-22h, samedi et dimanche 10-22h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°51 du 3 janvier 1998, avec le titre suivant : Nauman dans le labyrinthe

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