Moyen Age

« Musica », la science du sacré

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 16 avril 2004 - 640 mots

Le Musée de la musique, à Paris, a conçu une exposition judicieusement mise en scène pour évoquer la musique médiévale.

 PARIS - Au Moyen Âge, la musique était considérée comme une science à part entière. Elle formait, avec la géométrie, l’arithmétique et l’astronomie, le Quadrivium qui avait pour but la compréhension et l’explication de l’ordre du monde. Indissociable de cette notion d’« ordre », la musique médiévale « définit le temps et l’espace, assure la cohésion de la communauté des croyants et son lien avec Dieu », explique Christine Laloue, commissaire de l’exposition que consacre le Musée de la musique, à Paris, à ce médium et à ses représentations dans l’iconographie du début du IXe à la fin du XVe siècle. Pour l’occasion, près d’une centaine de manuscrits, sculptures, peintures, gravures, dessins, vitraux, ivoires, éléments architecturaux et tapisseries ont pu être réunis. Distribués en début de parcours, des audioguides offrent la possibilité d’effectuer la visite en écoutant des chants liturgiques, des chansons d’amour, les monodies jubilatoires d’Hildegard von Bingen ou encore les polyphonies savantes de Guillaume Dufay. Un procédé judicieux qui permet de pénétrer plus facilement cet univers complexe, à une époque où la musique était considérée comme le reflet immatériel de l’harmonie du monde. Dès le haut Moyen Âge, les artistes furent très soucieux de respecter la rationalité de la musique. Enlumineurs, peintres et parfois sculpteurs élaboraient leurs œuvres sur le fondement de proportions mathématiques relevant de la musica.

La musique qui élève l’âme vers Dieu
Les artistes faisaient également référence aux valeurs symboliques de cet art pour servir un discours amoureux ou de propagande. Les monarques se faisaient ainsi souvent représenter en musicien, à l’image du roi David. Poète et musicien qui chante et transmet la parole sacrée, ce personnage emblématique de l’Ancien Testament préfigure le Christ dans l’imagerie médiévale. Il a inspiré quantité de représentations enluminées comme Le Roi David dans sa cité (extraite de la Bible dite « d’Étienne Harding », vers 1109) ou Le Roi David et l’« ars musica » (provenant d’un psautier, vers 1170). Dans cette dernière, sur la cinquième corde de sa harpe, David prend l’accord donné directement de la main de Dieu et le transmet aux musiciens qui jouent à ses pieds...
À l’autre extrémité de la musique comme moyen d’élévation de l’âme vers Dieu, les carnavals ou fêtes de fous, satires sociales bruyantes et cacophoniques, jouent le rôle d’exutoire pour la société. Les acteurs de ces fêtes portent d’ailleurs souvent des masques représentant des êtres hybrides ou animaux lubriques, à l’image du défilé d’hommes masqués représenté dans l’enluminure du Roman de Fauvel de Gervais du Bus et Raoul Chaillou de Pesstain (vers 1320). Danses et musiques expriment aussi les angoisses face à la mort. Sur le petit panneau en ivoire (gravé vers 800) provenant du Victoria & Albert Museum à Londres et illustrant le Jugement Dernier, les anges munis de trompettes matérialisent la voix de Dieu et la terreur qu’elle doit inspirer à l’approche du moment fatidique. Au fil du XIVe siècle, la musique se libère de son emprise théologique et de sa fonction liturgique avec l’ars nova dont l’écriture répond moins à une nécessité religieuse qu’à la recherche d’un plaisir intellectuel. Diffusée dans le casque qui accompagne la visite ou figurée sur une enluminure avec partition (1350-1355), la ballade du Remède de fortune de Guillaume de Machaut (1300-1377) est un bel exemple de la richesse des différents genres lyriques de l’ars nova. Avec subtilité, la Cité de la musique permet d’apprécier dans toute leur force et leur diversité les troublantes mélodies de ces temps anciens.

MOYEN ÂGE, ENTRE ORDRE ET DÉSORDRE

Jusqu’au 27 juin, Musée de la musique, Cité de la musique, 221 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 44 84 45 63, www.cite-musique.fr, tlj sauf lundi 12h-18h et 10h-18h le dimanche. Catalogue, co-édition Cité de la musique/RMN, 240 p., 50 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°191 du 16 avril 2004, avec le titre suivant : « Musica », la science du sacré

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