Grâce à une sélection rigoureuse et à un beau travail de présentation, le Grand Palais parvient à faire ressentir le fascinant impact des compositions de Gustave Moreau, tant louées par les poètes et les écrivains symbolistes. Une personnalité fort originale se dégage de cette exposition, qui met en scène – plus qu’elle ne l’explique – le paradoxe d’un artiste authentique, moderne à plus d’un égard, qui fut aussi un conteur souvent hermétique, féru de mythes et de symboles, dernier rempart de la peinture d’Histoire contre les recherches des Impressionnistes et des Réalistes.
PARIS - Couverte de fils d’or et de pierres, au milieu des vapeurs d’encens d’un palais oriental, Salomé commence sa danse fatale. Sur la pointe des pieds, presque en lévitation, elle semble se recueillir, dans une attitude hiératique et théâtrale. Ce tableau, de la Collection Armand Hammer à Los Angeles, fut présenté au Salon de 1876, aux côtés d’une imposante aquarelle, plus trouble encore, où la tête coupée et auréolée de saint Jean-Baptiste apparaît en vision à Salomé dansant. Autour de ces deux pièces maîtresses, ont été rassemblés plusieurs études et trois autres tableaux, parmi lesquels une deuxième Apparition, à l’huile, entreprise à la même époque et complétée vingt ans après, au moyen d’un décalque de la version aquarellée.
Ces œuvres, comme les quelque 140 autres de l’exposition, offrent un véritable condensé de l’art, des méthodes et de la personnalité de Gustave Moreau. On y découvre tout à la fois un homme instruit et mystique, qui recourt aux figures d’Hérode et de sa nièce pour évoquer le déclin moral de la France sous Napoléon III, un misogyne fasciné par les femmes, un travailleur acharné qui multiplie les versions en quête de perfection, et un artiste soucieux de la postérité de son œuvre, qui réalise, pour son futur musée, des répliques de ses plus belles compositions.
Pari tenu
Confronter de telles séries, déclinant de manière obsessionnelle quelques thèmes troubles, témoins d’une érudition largement perdue, risquait de ne pas tourner à l’avantage du peintre. Il faut d’autant plus féliciter les commissaires de l’exposition d’avoir su éviter l’accumulation grâce à une sélection sévère et à un accrochage aéré.
Le rose brique des cimaises met en valeur la fine orfèvrerie des œuvres de Gustave Moreau, tandis que des cartels apportent les précisions iconographiques nécessaires sur le sujet évoqué. À plus d’un titre, cette rétrospective, organisée en partie par Geneviève Lacambre, directrice du Musée Gustave-Moreau, devrait servir de vitrine et de tremplin pour l’établissement de la rue La Rochefoucauld.
En effet, loin d’offrir un point définitif sur l’œuvre du Symboliste, la présentation du Grand Palais suscite l’interrogation, donne envie de percer le mystère, éclaire les paradoxes. Celui qui refusait qu’on le définisse comme un illustrateur semble s’épanouir surtout dans ses précieuses aquarelles, destinées à des amateurs passionnés. Une imagerie à la fois complexe et naïve s’y développe avec une évidente délectation. Les huiles de format plus important font preuve du même goût pour l’accumulation des détails, tracés en un fin réseau graphique qui recouvre le fond coloré sous-jacent.
Ce bavardage du dessin employé comme accessoire semble en contradiction avec “l’éloquence muette” dont se réclamait Gustave Moreau. Plus d’un critique en a conclu que celui-ci était davantage poète que peintre. Deux ébauches de composition – encadrées par l’artiste pour son musée – viennent définitivement contredire cette interprétation. Ces assemblages abstraits de couleurs, organisés par rapport à la surface du panneau, révèlent une approche purement picturale d’une grande audace. Mis bout à bout, le puzzle résiste à notre compréhension, à nos classements habituels, et agace. Ou fascine.
Jusqu’au 4 janvier, Grand Palais, entrée Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi et 25 décembre 10h-20h, mercredi 10h-22h. Catalogue 290 F, Petit Journal 15 F.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Moreau remis à l’honneur
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Moreau remis à l’honneur