Mettant de côté la biographie romanesque de l’artiste disparu à l‘âge de 35 ans, le LaM à Villeneuve d’Ascq revient sur le passage de la sculpture à la figure peinte, laquelle apparaît parfois dans son systématisme.
VILLENEUVE-D’ASCQ - Étranger, juif de surcroît, alcoolique, pauvre…, aucun élément n’est absent de cette imagerie d’Épinal dans la plus pure tradition post-romantique. Avec Modigliani (1884-1920), tous les ingrédients sont réunis pour que l’artiste puisse accéder au mythe qui auréole les martyrs de l’art, dans la lignée d’un Van Gogh. Même si tout n’est pas faux, la fiction l’emporte souvent sur la réalité et, plus grave, l’œuvre devient l’illustration de la biographie.
Le mérite de l’exposition du LaM, à Villeneuve-d’Ascq riche d’un fonds important de l’artiste, est d’éviter cet écueil en problématisant et interprétant sa production plastique. Sont examinés le passage de la peinture à la sculpture, le retour tardif à la peinture, le rapports aux différents acteurs et mouvements de la modernité (Cézanne, Toulouse-Lautrec, le fauvisme, le cubisme) ou aux périodes anciennes (art cycladique, art khmer).
À l’entrée, deux bustes peints. Le premier, Femme lippue (1909), de Kees Van Dongen, est une formidable toile aux couleurs flamboyantes. Le second, Buste de jeune femme (1908) de Modigliani, plus terne, est moins imposant. L’artiste italien se cherche encore. Dans la même salle toutefois, on trouve déjà les splendides dessins préparatoires pour des sculptures, lesquelles font partie du projet utopique d’un temple qui ne sera jamais réalisé. Curieusement, au moment ou Modigliani est « assailli » par la richesse extraordinaire de l’avant-garde picturale parisienne, il déplace, à l’instigation de Brancusi, son centre d’activité vers la sculpture. Comme son voisin d’atelier, il taille directement dans la pierre et, à partir des masses biomorphiques et blocs ovoïdes, il aboutit aux Cariatides, des figures de femmes proches de la statuaire antique. Avec cet ensemble de têtes, en quelque sorte des portraits archaïques, c’est déjà l’intemporel que Modigliani cherche à évoquer. Les yeux clos, les longs cous cylindriques, la puissante arrête du nez : ces idoles impénétrables annoncent les impassibles visages peints dont l’expression sera définie par l’artiste comme « l’acceptation muette de la vie » (Tête de femme, 1913).
Visage ovoïdal, épaules tombantes, yeux en amande
Selon différentes sources biographiques, Modigliani était attiré par la sculpture depuis son enfance. Cependant, on pourrait avancer l’hypothèse que le choix momentané de cette pratique lui permet de se départir de ses hésitations stylistiques et de tracer une nouvelle voie. Paradoxalement, celui qui réussit à trouver une « solution » picturale personnelle a longtemps cherché sa voie.
C’est en 1914 que Modigliani quitte pour des raisons de santé la poussière de l’atelier de la sculpture et revient à la peinture. Pendant les quelques années qui lui restent à vivre, il développe le style des portraits qui deviendront sa marque de fabrique et dont nombre d’entre eux se trouvent à Villeneuve-d’Ascq. Portraits ou visages, car souvent il ne cherche pas à reproduire fidèlement tous les détails caractéristiques d’une personne singulière. Des visages constitués à partir des formes progressivement dépouillées. Sans cesse, Modigliani tente le grand écart entre la singularité de la figure humaine et la perfection d’une forme idéale, entre la représentation de l’être et la force abstraite du contour. Rapidement, une différence se dégage toutefois entre les représentations masculines et les figures féminines. De fait, avec les hommes la ressemblance ne disparaît pas (Gaston Modot, 1918). Avec les femmes, les effigies sont nettement plus stéréotypées. Visage ovoïdal, cou d’une longueur démesurée, épaules tombantes, yeux en amande dont le peintre supprime la pupille et la remplace par des taches bleues, violettes ou vertes : un schéma commun émerge (Jeune fille aux yeux bleus, La Bourguignonne, toutes deux de 1918)
Cocteau dira de l’artiste italien : « Le trait curviligne est souvent si fin, si léger qu’il semble n’être qu’un esprit de trait ; il ondule avec la souplesse d’un chat siamois et ne court jamais le risque de s’épaissir ou de devenir disgracieux. » Le poète a vu juste. Mais il a aussi raison quand il remarque : « Ses modèles finissaient par tous se ressembler, à la manière des jeunes filles de Renoir. » Toute l’ambiguïté du peintre italien est là. Incontestablement, la figure humaine, pratiquement son thème exclusif, dégage une séduction qui assure son succès. Inversement, il semble que l’artiste, ayant élaboré sa manière, l’exploite systématiquement. Perfection ou mièvrerie, élégance ou kitsch, modernité ou classicisme, le style Modigliani se situe dans un entre-deux fragile.
Commissaires : Sophie Lévy, Jeanne-Bathilde Lacourt, Marie-Amélie Senot, directrice, conservatrice et attachée de conservation au LaM
Nombre d’artistes : 10
Nombre d’œuvres : 120
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Modigliani, l’œuvre devant l’artiste
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 juin, LaM, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq, tél 03 20 19 68 68, www.musee-lam.fr, tlj sauf lundi, du mardi-vendredi 11h-18h, samedi et dimanche 10h-18h, entrée 10 €. Catalogue, coéd. Gallimard-LaM, 144 p, 35 €.
Légende photo
Amedeo Modigliani, Nu assis à la chemise, 1917, huile sur toile, 92 x 67,5 cm, LaM, Villeneuve d’Ascq. © Photo : Philip Bernard.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Modigliani, l’œuvre devant l’artiste