La Fondation Beyeler confronte Calder au duo Fischli/Weiss autour des notions de pesanteur et d’équilibre en sculpture, sans parvenir à rendre le dialogue fructueux.
Il fallait y songer. Procéder à ce qui, à première vue, pourrait ressembler au mariage de la carpe et du lapin : l’association de l’Américain Alexander Calder et du duo suisse Peter Fischli et David Weiss. C’est pourtant une telle rencontre que propose cet été la Fondation Beyeler, à Riehen près de Bâle, sous l’impulsion de sa conservatrice Theodora Vischer.
Curieuse de prime abord, l’association trouve son sens dans des notions relatives à l’équilibre, à la suspension et au type de précarité qui en résulte. Démonstration en est faite avec cette magnifique sélection de pièces mobiles de Calder, parmi lesquelles sa toute première suspension intitulée Small Sphere and Heavy Sphere (1932-1933), dans laquelle deux boules suspendues, une grosse et une petite, entrent par moments dans une sarabande au milieu d’objets posés au sol, des bouteilles notamment. Une formidable salle aussi est consacrée au cirque où, à côté de tableaux datés du milieu des années 1920, de délicats fils de fer recomposant le personnage de Joséphine Baker ou des figures d’acrobates (The Brass Family, 1929) paraissent presque en lévitation. Répondent à ces sculptures le célèbre film du duo suisse intitulé Le Cours des choses (1987), qui dans l’atelier voit s’enchaîner les catastrophes entre des objets savamment disposés à cet effet, et la non moins célèbre série de photographies « Équilibres » (1984-1986) : dans l’atelier toujours ont été composées des dizaines de sculptures précaires, assemblages hétéroclites qui ont été immortalisés sur la pellicule durant le court instant où ils ont semblé tenir et former un tout.
Une certaine poétique dans l’usage du « pas grand-chose » ou du rien parfois et un goût pour la légèreté des choses transparaissent également de part et d'autre. Remarquable est à ce titre cette vidéo dans laquelle le rat et l’ours, doubles philosophes de Fischli & Weiss, flottent dans un espace indéfini soumis par intermittence aux ténèbres et à des éclairs de lumière (Rat et Ours (vidéo mobile), 2009). De même, une appétence pour le bricolage et l’expérimentation se donne à voir de part et d’autre, dans Constellation (1942) ou Étoile du matin (1943) chez Calder dont les composantes sont reliées par de fins fils de fer, ou chez Fischli & Weiss dans ces copies parfaites de leurs outils de travail qui semblent avoir été oubliées dans un coin.
Une rencontre inaboutie
Mais même s’il est recevable, l’argument principal apparaît néanmoins un peu court pour justifier ce rapprochement tout au long d’une exposition, tant les finalités de l’acte artistique même, par le décalage temporel et les objectifs qui séparent les protagonistes, ne peuvent être foncièrement conciliables. Lorsque la quête de l’un semble être celle d’une absolue modernité, qu’illustrent deux très beaux tableaux aux formes simples et couleurs sèches réalisés à la suite d’une visite marquante dans l’atelier de Mondrian en 1930, les autres se présentent comme les tenants d’une attitude postmoderne de rupture avec le grand art pour aller explorer, non sans humour, les aspects les plus triviaux de l’existence.
La conversation apparaît finalement tellement courte que, hormis dans le hall de la fondation où un délicat mobile (Otto’s Mobile, 1952) semble présider au sommeil de l’ours et du rat couchés sur le sol (Rat et ours (endormis), 2008), il n’est guère que dans la première salle qu’est orchestrée une véritable confrontation, avec des œuvres antinomiques d’ailleurs. À de délicats funambules sur un fil (Tightrope, 1936) répondent en effet ici des sculptures de la série « Walls, Corners, Tubes » (2009), de solides fragments architecturaux déconnectés de tout contexte. Ensuite ce sont des salles monographiques, qui certes s’enchaînent en alternance mais sans apporter un supplément de sens.
À chacun donc de construire sa propre lecture du parcours proposé, entre une rencontre qui reste au final inaboutie ou deux belles expositions personnelles.
Commissaire : Theodora Vischer
Nombre d’œuvres : 100
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Modernité versus postmodernité
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 4 septembre, Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, Riehen/Bâle, tél. 41 61 645 97 00, www.fondationbeyeler.com, tlj 10h-18h, mercredi jusqu’à 20h, entrée 25 CHF (env. 23 €). Catalogue, coéd. Fondation Beyeler/Hatje Cantz, 272 p., 58 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°461 du 8 juillet 2016, avec le titre suivant : Modernité versus postmodernité