Le Musée de la Reina Sofía explore avec justesse les architectures émotionnelles du Mexicain d’origine polonaise.
MADRID - La première œuvre – que ne renieront pas les tenants du Minimalisme une décennie plus tard – est spectaculaire et emplit dans sa totalité une salle aux dimensions généreuses. Immense sculpture en bois laqué aux formes raides et anguleuses, telle une ligne brisée qui serait prise de circonvolutions, Ataque o La Serpiente de El Eco (Attaque ou Le Serpent d’El Eco, 1953) de Mathias Goeritz (1915-1990) ouvre la formidable et dense rétrospective que lui consacre le Museo nacional Centro de arte Reina Sofía, à Madrid.
Le Museo Experimental El Eco, de taille modeste et toujours en activité, que Goeritz conçut à Mexico en 1953 est devenu un édifice iconique à cause de ses volumes, mais surtout de sa cour dans laquelle s’élève un monolithe en béton d’une couleur jaune très franche, qui voisine avec le fameux serpent. Cette construction, qu’il est encore possible de qualifier de jeunesse, porte en outre en elle beaucoup des principes et de la complexité de l’œuvre d’une personnalité qui ne l’est pas moins. Né à Gdansk, en Pologne, l’artiste se forme à Berlin dans l’entre-deux-guerres avant de travailler en Espagne de 1945 à 1948, puis émigre définitivement au Mexique en 1949. Philosophe, peintre, sculpteur, architecte, Goeritz fut tout cela à la fois avec, chose rare, un égal bonheur dans toutes les disciplines, même si c’est dans les deux dernières que se magnifie une science consommée d’un mélange des genres, justement. Car ce sur quoi s’appuie principalement son art est une notion dite d’« architecture émotionnelle » qui, pour lui, devient un outil de claire confrontation face à une création muraliste au contenu très politique, si ce n’est propagandiste, qui domine alors la scène mexicaine. Ainsi que le résume le commissaire de l’exposition, Francisco Reyes Palma, « [le concept d’architecture émotionnelle] constitue un dispositif de production d’images opératoires polyvalentes, où la visibilité maximale des formes et son pouvoir de bouleversement proviennent de l’emploi d’autres composants plus opaques », à savoir notamment des références à l’histoire de l’art, l’usage d’un langage visuel issu des avant-gardes, mais aussi l’insertion d’une spiritualité assumée.
Une réflexion à contre-courant
Ce dernier axe surtout, est à l’époque inaudible par une grande part des milieux de la création et constitue une véritable voie d’opposition au discours dominant. Il trouve des modes d’expression dans l’usage de l’or en particulier, comme il est par exemple possible de le voir sur quatre panneaux de bois dont la disposition et l’espacement sur le mur dessinent une croix (Cruz de oro [Croix d’or], 1973), ou encore cette surprenante boîte en bois dépliable dont l’intérieur de chaque face porte un cône acéré (Cruz en la caja [Croix dans la boîte], 1960-1961). Intelligemment, l’accrochage propose des correspondances avec les recherches d’alors d’Yves Klein ou de Lucio Fontana. Mais le terme « oro » lui sert également dans les années 1960 à développer son goût pour la poésie visuelle. Il se voit transposé à la fois sur papier, mais aussi en architecture avec des murs composés d’une répétition à l’infini du deuxième « o », qui deviennent de véritables poèmes concrets en pierre (El Eco de oro (L’écho d’or), 1965-1966).
Avec un accrochage d’une magnifique précision, le parcours déploie plus de 200 œuvres de toutes natures, qui naturellement font la part belle au va-et-vient constant entre sculpture et architecture, dont l’un des gestes le plus forts et fondateurs fut l’érection des Torres de Ciudad Satélite (Tours de Ciudad Satélite), élaborées en 1957 en collaboration avec Luis Barragán, autre icône de l’architecture mexicaine ; soit cinq volumes triangulaires de béton élancés, aux profils de gratte-ciel, posés sur un vaste carrefour urbain au sud de Mexico, en véritables marqueurs d’une modernité en marche.
Tours, colonnes, pyramides, étoiles, serpentins brisés forment autant de motifs récurrents passant par des techniques et des champs divers, qui jamais ne perdent un fascinant pouvoir d’attraction. Preuve sans doute d’une certaine justesse dans les visées et la lecture d’une époque qui les ont accompagnés.
Commissaire : Francisco Reyes Palma
Nombre d’œuvres : plus de 200
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Modernité plurielle
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Modernité plurielle