Avec une offre de plus en plus riche, et de nouveaux espaces d’exposition requisitionnés pour l’occasion, la Biennale de Lyon traque la modernité partout. Sans pour autant la définir.
Vous qui entrez ici, oubliez tout espoir de comprendre. Moderne ? Quel « moderne » ? On peut avoir des opinions différentes sur la Biennale en cours, mais une chose est certaine : il est impossible de se faire une idée précise sur la signification de son titre qui se veut fédérateur, « La vie moderne ». De fait, comme souvent, les grandes manifestations proposent des thèmes d’une telle généralité qu’ils perdent pratiquement toute leur pertinence.
Grande, la Biennale l’est de plus en plus, car si son cœur se divise toujours en deux : le MAC (Musée d’art contemporain) et La Sucrière (lire p. 14-15), elle s’élargit d’une année sur l’autre avec de nouveaux lieux de monstration. Et devient « Biennale XXL », ainsi que le revendiquent fièrement les supports de communication. En se restreignant aux principaux lieux, on peut mentionner Le Plateau, situé à l’hôtel de Région Rhône-Alpes, la Fondation Bullukian et, à Villeurbanne, l’Institut d’art contemporain (IAC).
Cependant, le véritable moteur de cet événement devenu significatif sur l’échiquier international demeure le directeur « historique » du MAC, Thierry Raspail, qui chapeaute l’ensemble. Est-ce pour cette raison que la majorité des présentations « périphériques » semblent chercher avant tout à établir un dialogue avec le musée, dialogue qui, parfois, se mord la queue.
Au Plateau/hôtel de Région
L’exemple le plus frappant est celui du Plateau. Situées dans un bâtiment monumental, pour ne pas dire grandiloquent, les œuvres proviennent toutes de la collection du musée. Non pas que leur qualité soit mauvaise, car le choix offre quelques pièces majeures. Ainsi, le visiteur traverse un très beau Pénétrable de Soto (Pénétrable de Lyon, 1968), apprécie une série fascinante de tatouages photographiés par Hans Neleman (Moko Maori Tatoo, 1999), ou encore s’arrête intrigué par le bric-à-brac des inscriptions et des objets disposés ou sol par Peter Robinson (The Jacopetti Effect-Duck Rock Part 1, 2000). Fort bien. Mais en quoi toutes ces œuvres réunies sous le titre encore plus énigmatique de « Fabuleux monde moderne » illustrent-elles ce concept ? L’explication avancée est que le musée, à travers ses acquisitions, est le lieu où la modernité se produit. Peut-être, encore que les artistes peuvent se montrer dubitatifs sur cette fonction muséale, eux qui n’ont de cesse de critiquer le monde de la conservation.
« Copie conforme… » à la Fondation Bullukian
Un autre rapport à la modernité nous est proposé par la Fondation Bullukian avec « Copie conforme… moderne », d’après le projet de la plateforme « Veduta », créée par la Biennale en 2007. Le propos est de « parcourir la métropole [lyonnaise] avec l’art » et de revenir sur l’histoire des Biennales antérieures à l’aide de copies des œuvres exposées à l’extérieur, dans les villes de la métropole lyonnaise, à Vaux-en-Velin et Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Selon les organisateurs, ce retour sur l’histoire de la Biennale permet d’établir la « généalogie du moderne ». Dans la même logique, dix artistes (Yto Barrada, Marinella Senatore, Otobong Nkanga…) ont accepté que leurs œuvres, réalisées en multiples, soient exposés chez les commerçants locaux. Ces pièces sont présentées également à la Fondation Bullukian, ainsi que les deux formidables installations de l’architecte-artiste Yona Friedman, Études d’espace (2007) et Iconostase, cette dernière ayant été créée pour la Biennale 2011.
La matière employée par l’artiste est principalement un grillage serré – Études d’espace fait appel également aux cerceaux métalliques –, et les deux œuvres occupent l’intégralité de la cour de la fondation. Avec ce dispositif, l’artiste invite le visiteur à déposer l’objet de son choix pour qu’il soit exposé dans une de ces cages métalliques. Friedman, qui cherche à inventer le musée du XXIe siècle, fondé sur l’échange, pour lequel il propose des structures inhabituelles qui « facilitent l’imprévisible », s’inscrit indiscutablement dans la modernité. Mais, cette attitude, de même que celles des artistes qui ont choisi d’exposer dans la rue, est-elle vraiment nouvelle face aux propositions de Fluxus et de Supports-Surfaces ? La volonté, pour cette édition de la Biennale, d’établir un bilan ou plutôt un double bilan, celui de la Biennale elle-même mais aussi celui du MAC, trouve là ses limites.
Rendez-vous à l’IAC
Curieusement, il semblerait que l’autre lieu fort de l’art contemporain, l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, prenne une direction un peu différente, avec son « Rendez-Vous » qui met en scène la jeune création internationale. Se définissant comme un « véritable sas d’anticipation », l’IAC expose, sous une direction collégiale, vingt artistes, donc la moitié sont français et l’autre moitié viennent de diverses biennales qui se situent un peu partout dans le monde, à Dakar, La Havane, Shanghaï, Los Angeles… Le résultat de cette globalisation triée sur le volet n’est pas sans intérêt artistique et sociologique. Les travaux, éclectiques, font appel à toutes les techniques envisageables – avec peut-être un léger avantage à la vidéo – et partagent une certaine indifférence vis-à-vis de la tradition artistique. Ici, on ne trouve pratiquement pas de citations ou de travail d’archivage et les objets présentés, retravaillés par les artistes, ne s’inscrivent pas dans l’héritage duchampien. L’autre point commun est le manque d’engagement politique de ces jeunes artistes. Ainsi Course contre l’orage (2005), de Maxime Lamarche, qui détourne un voilier, bateau de plaisance, en le découpant et en le reconstituant, est une exploration intéressante de la sculpture et de l’assemblage, mais qui fait abstraction de l’évidente signification politique de cet objet aujourd’hui. Certes, une manifestation artistique ne peut pas entretenir un rapport littéral au monde ; néanmoins ce constat est étonnant en vue de la bouleversante réalité actuelle.
Pour terminer, deux options possibles. Le Palais de Tokyo (Paris) ouvre une antenne lyonnaise éphémère intitulée « Le parfait flâneur » qui se tient dans un gigantesque hangar, plutôt sinistre. Les œuvres, en revanche, sont jouissives, car certains parmi les artistes déploient une invention plastique ingénieuse : des petites maquettes « abandonnées » réalisées par Mengzhi Zheng, des assemblages combinant éléments organiques et objets quotidiens, « ready-made arrangés » de Rodrigo Matheus. Ailleurs, Anish Kapoor s’installe chez Le Corbusier. Le prétexte, un peu maigre : « Kapoor, considéré comme l’un des plus grands sculpteurs contemporains, est invité au couvent dominicain de La Tourette, archétype de l’architecture moderne. » Faut-il se rendre au Couvent ? Peut-être moins pour les œuvres de Kapoor, un copier-coller de ses travaux, que pour ce lieu d’une beauté exceptionnelle. Si La Tourette entre dans la définition du moderne, c’est plutôt avec Baudelaire selon lequel « c’est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ».
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Abonnez-vous dès 1 €Ce fabuleux monde moderne, Le Plateau, hôtel de Région
jusqu’au 3 janvier 2016, 1, esplanade François-Mitterrand, 69002 Lyon, du mardi au vendredi 11h-18h, le week-end 11h-19h, entrée libre.
Copie conforme… moderne
jusqu’au 3 janvier, Fondation Bullukian, 26, place Bellecour, 69002 Lyon, tél. 04 72 52 93 34, du mardi au jeudi 13h-19h, vendredi et samedi 11h-19h, entrée libre.
Rendez-vous 15, Jeune création internationale
jusqu’au 8 novembre, Institut d’art contemporaine, 11, rue Docteur-Dolard, 69100 Villeurbanne, tél. 04 78 03 47 00, du mercredi au vendredi 14h-18h, le week-end 13h-19h, entrée 6 €.
Le parfait flâneur
jusqu’au 4 octobre, halle Girard, 70, quai Perrache, 69002 Lyon, du jeudi au dimanche 12h-19h, entrée libre.
Anish Kapoor chez Le Corbusie
jusqu’au 3 janvier, Couvent de La Tourette, route de La Tourette, 69210 Éveux, tél. 04 72 19 10 90, du mardi au samedi 14h30-18h30 (fermé entre le 25 déc. et le 1er janv. inclus), entrée 7 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°441 du 18 septembre 2015, avec le titre suivant : Moderne, vous avez dit moderne ?