LANDERNEAU
Le couple dans l’art. Voilà un sujet d’exposition passionnant qui peut créer de pertinents face-à-face révélant influences et singularités entre deux démarches créatives.
À la Fondation Leclerc est donné à voir le dialogue entre Joan Mitchell, figure majeure de l’abstraction américaine, et le peintre canadien Jean-Paul Riopelle, qui entretint avec elle une relation amoureuse de 1955 à 1979. Si le parcours, par un accrochage sensible et juste, révèle certaines correspondances, comme l’usage de couleurs similaires, l’ouverture de l’abstraction vers des résonances à la nature ou le rapport à l’écriture, ces échos ne trahissent en rien la singularité de chacun, bien au contraire, ils en révèlent la force. Dans ce face-à-face en effet, apparaît toute la poésie sensible de Joan Mitchell – que nous trouvons, du reste, plus forte lorsqu’elle densifie sa gestuelle, faite d’aplats géométriques ou d’entrelacs, et la concentre en masse au centre de l’œuvre. Même si la touche peut s’épaissir ou se charger de nervosité, ce souffle poétique, de verts, bleus ou jaunes mêlés, demeure aérien, musical, fluide, végétal, solaire. Là où les œuvres de Riopelle apparaissent dans toute leur animalité physique et terrienne : fond et forme intriqués sur la totalité de la surface en une énergie boueuse et corporelle, travail en épaisseur de la matière au couteau, où se lit une vibration plus viscérale et sombre. Une œuvre qui, du reste, fait preuve d’une grande capacité de renouvellement formel (aux frontières de l’abstraction et de la figure, de l’informel et du symbole, du geste corporel et de l’écriture) et d’explorations de techniques diverses, de l’estampe à la sculpture. Peut-être cette mise en lumière de l’œuvre de Riopelle, revu à l’aune de la notoriété de sa compagne américaine, permettra-t-elle aussi une relecture en France de cette démarche singulière encore trop méconnue.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Mitchell-Riopelle, une abstraction d’échos et de contrastes