En associant artistes, collectionneurs et institutions, Laurent Le Bon compose au Fonds Hélène & Édouard Leclerc un passionnant cabinet de curiosités éphémère et intime.
Landerneau (Finistère). Des chefs-d’œuvre d’horlogerie allemande du XVIe siècle, des mannequins anatomiques en cire du XIXe siècle, un échantillon des collections du Musée de la chasse et de la nature (Paris), la résurrection de la muséographie de Georges Henri Rivière, une carte blanche à un artiste contemporain prometteur : cette liste non exhaustive illustre la difficulté à faire entrer la nouvelle exposition du Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture (FHEL) dans un registre unique. Sans doute est-ce dû à la liberté de ton et d’action de Laurent Le Bon, co-commissaire avec l’écrivain et collectionneur Patrick Mauriès de « Cabinets de curiosités ».
En s’emparant du thème du cabinet de curiosités, le directeur du Musée Picasso a conçu un parcours en 15 « cellules » aux surfaces identiques, chacune confiée à un invité : institution publique ou privée, collectionneur, artiste. Au total 17 séquences (15 cellules plus deux salles) pour 1 500 objets : une saturation d’objets qui fait dire au conservateur que « l’exposition peut se visiter en cinq minutes ou en une vie ! ».
Interroger la notion de cabinet de curiosités avait déjà été tenté en 2013 avec « La licorne et le béozard » présentée au Musée Sainte-Croix de Poitiers, d’après une analyse historique fournie par Pierre Martin et Dominique Moncond’huy. Les deux universitaires poitevins ont participé au projet breton en réunissant des textes d’anthologie pour le catalogue, lequel conserve tout son intérêt indépendamment de l’exposition.
Chaque invité a eu carte blanche dans la sélection des œuvres, mais aussi dans la conception des cimaises et des vitrines. « Cette exposition fait œuvre, par la réunion de 17 éléments complètement disparates, contradictoires, dispersés dans le temps et dans l’espace », s’enthousiasmait ainsi l’artiste et collectionneur Jean-Jacques Lebel, auteur d’une cellule sur sa collection, découvrant le jour du vernissage les autres espaces de l’exposition. Le tour de force réside dans l’association des espaces, qui tout à la fois entrent en résonance, s’affrontent, se font écho et livrent ensemble un propos autour des notions de curiosité, de désir, de beauté. La scénographie de Jasmin Oezcebi, habile et intelligente, crée des effets de surprise tout en maintenant une harmonie entre les cellules.
Au fil de ces micro-parcours se dévoilent les affinités électives du commissaire, les rencontres faites au détour d’une carrière qui l’a entraîné du Musée national des arts et traditions populaires au Musée Picasso en passant par le Centre Pompidou-Metz. « Cette exposition est un codicille à mon testament curatorial », explique le commissaire. Il faut lire son« Codicille en forme de (non)-règles du jeu », dans le catalogue pour comprendre que, au-delà d’une boutade, le conservateur expose sa vision de la construction d’une exposition, sorte de vade-mecum au ton léger et au sens profond. Entre les sabliers de Jacques Attali [éditorialiste au JdA], les insectes du Muséum national d’histoire naturelle et les chimères du collectionneur Antoine de Galbert, le parcours est ainsi un immense hommage à la curiosité du regardeur. Laurent Le Bon s’est gardé une cellule, où il réunit la collection de boîtes de sardines de Michel-Édouard Leclerc, les marteaux du commissaire-priseur François Curiel et, de l’artiste Andreas Gursky, Amazon, une photographie monumentale des entrepôts du géant américain : un choc esthétique mêlé d’humour qu’il faut éprouver de manière sensible.
À l’occasion de cette exposition, le FHEL ouvre pour la première fois les portes de la chapelle des Capucins. Elle abrite le « cabinet de curiosités » des Leclerc ; la collection d’art sacré d’Hélène et Édouard Leclerc, de toutes provenances et de toutes époques. Le thème de l’exposition prend ainsi une résonance intime pour le Fonds de Landerneau.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : À Landerneau, une ode à la curiosité