PARIS - Six ans après « Le IIIe Reich et la musique », la Cité de la musique, à Paris, questionne à nouveau l’indépendance de la création artistique face au pouvoir politique en présentant « Lénine, Staline et la musique », dans le cadre des « Années croisées France-Russie ».
Rassemblant notamment des œuvres sonores et visuelles de la Galerie Tretiakov de Moscou, du Musée d’État russe de Saint-Pétersbourg et du Musée historique d’État de Moscou, elle décrypte la relation fusionnelle entre le régime soviétique et ses artistes, de la révolution de 1917 à la mort de Staline en 1953. Déployé sur deux étages, le parcours débute avec les années marquées par la figure de Lénine et les tergiversations politiques qui ont suivi sa mort en 1924 – douze ans portés par l’idéal d’un art nouveau illustrant l’homme neuf prôné par la révolution. Le second étage aborde, avec le début des années 1930, la mise au pas stalinienne et la lutte contre le formalisme abstrait, relent d’un art dégénéré occidental, ou quand l’utopie libertaire se change en utopie d’organisation, selon les termes de l’historien Pierre Rosanvallon. La scénographie oppose d’ailleurs un espace de libre flânerie à un long corridor sombre en accordéon.
Le pouvoir des arts
L’exposition joue avec succès la carte de l’art total, emmenée par la musique derrière laquelle se rassemble toute l’industrie artistique. Sous forme de bande sonore, l’audioguide égrène notamment les créations de Dmitri Chostakovitch et Sergueï Prokofiev qui revêtent différents visages au gré des aléas du pouvoir. Elles illustrent tantôt l’effervescence suprématiste de Kazimir Malevitch, dont les formes pures tendent à « nettoyer la place des débris de l’ancienne époque » – un art peu lisible pour les masses auxquelles il veut pourtant s’adresser –, tantôt le réalisme socialiste triomphant de La Fête au kolkhoze (1937), tableau d’Arkadi Plastov. Dans ce dernier climat populiste et totalitaire, le regard de Staline est partout : attentif en parfait « petit père des peuples » sur les affiches du Kremlin, conquérant au Matin de notre patrie (1946-1948) de Fédor Chourpine et roublard dans l’inquiétant portrait de Staline dans un fauteuil (1935) de Georgui Roublev, caché par l’artiste dans son atelier pour le préserver de la destruction. Au son de « Debout, peuple russe ! » qui appelle la Russie à combattre l’ennemi teuton dans Alexandre Nevski (1938) de Serguei Eisenstein, l’exposition remporte brillamment le pari de l’immersion dans un espace de propagande et démontre le pouvoir galvanisant des arts visuels et sonores sur les foules.
Jusqu’au 16 janvier 2011, Cité de la musique, 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 44 84 44 84, www.citedelamusique.fr, tlj sauf lundi 12h-18h, dimanche 10h-18h. Catalogue, éd. Fayard, 255 p., 39 euros, ISBN 978-2-2136-5566-6
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Mise en musique
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Pascal Huynh, musicologue et rédacteur musical à la Cité de la musique
Nombre d’œuvres : 300
Scénographie : Projectile
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : Mise en musique