Art moderne

XXE SIÈCLE

Miró, poète et visionnaire

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 6 novembre 2018 - 816 mots

PARIS

Dans une rétrospective consacrée au peintre catalan, le Grand Palais met en lumière le langage poétique qui caractérise son œuvre. Formes colorées et figures nouvelles, détails et schémas flottent dans un univers onirique et insolite qui lui est propre.

Paris. On aimerait être poète et avoir les mots justes pour parler de l’œuvre de Joan Miró. On voudrait être comme lui, capable de relier la réalité et le fantastique, la trivialité du quotidien et la poésie du fantasme. La liste impressionnante de ceux qui ont approché cet œuvre – Hans Arp, Michel Leiris, Jacques Prévert, René Char, Jacques Dupin – en dit long sur sa qualité. Il suffit d’écouter Miró pour qui : « Un tableau doit être comme des étincelles. Il faut qu’il éblouisse comme la beauté d’une femme ou d’un poème » (Je travaille comme un jardinier, 1959). L’artiste a un don rare : celui d’inventer des formes inconnues et suggestives, des images jamais aperçues auparavant, des expressions condensées qui relèvent d’un imaginaire singulier. Possédant ce qu’on peut nommer « l’œil intime », l’artiste a l’audace d’explorer des terres jusqu’alors restées inconnues.

C’est à Paris que la rencontre entre Miró et ses amis poètes a lieu. Malgré l’importante effervescence du paysage artistique espagnol, et plus particulièrement de celui de Barcelone, la capitale française reste encore le lieu de pèlerinage des créateurs. Loin d’être un débutant – L’Autoportrait (1919) est déjà une toile remarquable par la présence qu’elle dégage –, Miró peint son premier chef-d’œuvre en France : La Ferme, une toile qui ouvre pratiquement l’exposition. A priori, cette habitation rurale n’a rien d’exotique. Il s’agit simplement de la ferme familiale, dans un village nommé Mont-roig (montagne rouge en catalan). Si le lieu est représenté déjà avant le départ de l’artiste (Mont-roig, l’église et le village, 1919), tout laisse à penser que l’éloignement était nécessaire pour que ce paysage connu se transforme en un décor théâtral féerique, filtré par la nostalgie. La Ferme fascine par la façon propre au peintre de rendre avec une exactitude infinie chaque détail – le terme « détaillisme » est forgé pour lui – et le résultat final s’approche davantage du « réalisme magique ». Traitées selon des schémas géométriques, cernées par des contours fermes et nets, ces figures sans épaisseur, sont plus dessinées que peintes, plus juxtaposées qu’unifiées. Curieusement, malgré la précision avec laquelle est traitée chaque texture, le tout forme un univers en soi, un réel plongé dans le rêve, proche et lointain à la fois.

Sans doute, les liens avec les surréalistes ont eu un impact sur son évolution (il a André Masson comme voisin d’atelier), mais son surréalisme échappe à tout aspect doctrinaire. Puis, avec le Carnaval d’Arlequin (1924-1925), on entre dans un monde qui ignore le principe de la contradiction, qui rejette la distinction entre l’imaginaire et la vision et les contraintes que nous impose la pesanteur. Si l’on devine encore quelques « objets » – l’échelle, la fenêtre, le chat, les insectes qui ne tiennent pas en place – la surface est traversée par des lignes ondoyantes, dénuées de toute fonction descriptive.

Suit un parcours qui met en scène des toiles vastes, recouvertes d’une seule couleur (gris, bleu, brun), ponctuées de signes flottants. Des lettres, des chiffres, mais surtout des configurations en provenance d’un abécédaire secret qui, selon Miró, permettent de « s’évader dans l’absolu de la nature » (Peinture, 1926). L’accrochage, assuré par Jean-Louis Prat, dont on envie le talent d’obtenir les œuvres les plus remarquables, montre clairement que l’artiste catalan réussit à gommer les frontières entre animé et inanimé, entre animal et végétal. Ainsi, une toile au double titre, Peinture (oiseaux et insectes) [voir illustration ci-contre] (1938), joue sur cette ambiguïté de lecture. De même, les Constellations (1939-1941) sont des visions d’une nature en pleine cristallisation. Ici comme ailleurs, le débordement est organisé, la croissance contrôlée, la germination structurée, le chaos en état d’équilibre.

Passé les quelques « sculptures-objets », assemblages relativement peu nombreux au Grand Palais, le spectateur se trouve face à ces miracles de légèreté que sont les Bleu I, Bleu II et Bleu III, (1961), en provenance du Centre Pompidou. Ces toiles monumentales, des espaces sans limites rythmés par quelques signes ténus, aboutissent, selon l’artiste, « au dépouillement voulu ».

Pour autant, la production plastique de Miró n’a rien de lisse ni de désincarné. Rémi Labrusse parlant de ces images parfois sauvages, parfois violentes, évoque un « paysage en ruine » (Miró, un feu dans les ruines,éd Hazan, 2018).

Dans un effort de création qui refuse la virtuosité, Miró n’a de cesse d’affirmer sa volonté d’« assassiner la peinture » et déclare essayer « chaque jour faire un peu moins bien ». Comme toujours, une dénégation trop appuyée éveille le soupçon. Peut-être, malgré le souffle de chaos qu’il cherche à introduire dans certaines de ses œuvres, les lignes parfaitement ciselées, les taches de couleur distribuées avec une justesse étonnante, le raffinement (qui ne veut pas dire préciosité) sont la preuve que ce célèbre « assassinat » doit être considéré « comme un des beaux-arts ».

Miró. Ceci est la couleur de mes rêves,
jusqu’au 4 février, Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°510 du 2 novembre 2018, avec le titre suivant : Miró, poète et visionnaire

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